Que penser de notre protection sociale face à la crise sanitaire ? Pour le directeur de recherches Cnrs-Centre d’études européennes de Sciences Po, Bruno Palier, on « ne sait pas faire de la santé publique » ce que montre le « sujet des vaccins qui a pris du retard ». Face à cela, Bruno Palier estime qu’il faut développer les centres de santé, dont les centres de santé mutualistes, car ils sont « les mieux placés pour faire de la santé publique » sur tout le territoire comme c’est nécessaire actuellement avec cette épidémie. Pour lui, dans cette optique, les mutuelles ont aussi un rôle plus important à jouer : « Elles ont la capacité de connaître les besoins collectifs et de les incarner ». Car, on constate dans cette crise que « l’Etat qui n’a fait que rationner la protection sociale depuis trente ans, n’est pas apte à prendre seul les décisions ». « Il faut renouer avec une véritable démocratie sociale associant les partenaires sociaux et les mutuelles ».
Que pensez-vous de la capacité de notre système de protection sociale à faire face à la crise Covid ?
Cette crise a servi de révélateur. On constate qu’on a un système de protection sociale qui fonctionne bien pour sa capacité à protéger les Français, à les soigner et à leur permettre un accès aux soins grâce à leur couverture Sécu+mutuelle.
Cependant, ce que met en lumière cette crise, c’est que notre système ne sait pas anticiper, organiser, prévenir. Il ne sait pas faire de la santé publique. Si l’on prend le sujet des vaccins, le retard français s’explique notamment par la volonté des pouvoirs publics d’en passer par les médecins libéraux pour la vaccination – alors qu’ils sont dans le curatif et dans des relations individuelles aux patients – en ayant exclu d’abord la solution de centres de vaccination.
Aujourd’hui, en France, les mieux placés pour faire de la santé publique sont les centres de santé, dont les centres de santé mutualistes. D’une façon générale, ce sont ces centres qu’il faut développer pour une prise en charge des patients globale, de la prévention au soin. Et pour une réponse de santé publique sur tout le territoire en cas d’épidémie comme actuellement.
« il faudrait renouer avec une véritable démocratie sociale, donc avec une association des partenaires sociaux et des mutuelles aux décisions en matière de protection sociale. »
Pour l’avenir, comment améliorer le système de protection sociale pour être mieux préparés collectivement à de nouvelles catastrophes ?
On est face à une évolution des risques car ils sont désormais systémiques, que ce soit les risques sanitaires avec l’épidémie actuelle, climatiques, et technologiques qui bouleversent le monde du travail. Face à cela, la réponse assurantielle ne peut suffire. Il faut se préparer pour être capables de vivre avec. Ce qui veut dire que la réponse doit être collective :
- une réponse collective locale avec, je le répète, un large développement des centres de santé qui savent très bien faire de la prévention, au cœur de leur mission.
* une réponse collective nationale avec une simplification de la gouvernance en santé.
Mais ce que montre aussi cette crise, c’est que l’Etat n’est pas apte pour prendre seul les décisions. Depuis le début des années 1990, la seule chose qu’a fait l’Etat en matière de protection sociale, c’est baisser les impôts et les cotisations et tenter de réduire les prestations sociales. Notamment parce que les hauts fonctionnaires de Bercy dominent et sont formés au néolibéralisme. L’étatisation du système s’accompagne en France de privatisation : on assiste à ce paradoxe que l’Etat étatise la protection sociale pour s’en retirer et rationner.
Pour mieux prendre en compte les besoins émergents et relayer les décisions prises, il faudrait renouer avec une véritable démocratie sociale, donc avec une association des partenaires sociaux et des mutuelles aux décisions en matière de protection sociale.
A propos des mutuelles, comment voyez-vous leur action pendant cette crise Covid ?
Les mutuelles ont montré durant cette crise leur capacité à mettre en place des politiques de prévention dans les établissements mutualistes et auprès de leurs adhérents. A l’avenir, elles doivent se vivre encore davantage comme des acteurs collectifs du système de santé. Elles ont la capacité, compte tenu de la masse de leurs adhérents, de connaître les besoins collectifs et de les incarner. Ce monde mutualiste, entre le marché et l’Etat, est indispensable à la respiration de nos sociétés, mais il ne doit pas céder aux tentations créées par le contexte de concurrence avec les assurances privées.
Pensez-vous que ce grand moment de prévention que nous vivons actuellement (très peu de cas de grippe, par exemple) va servir de leçon pour l’avenir ?
Toute la question est de savoir si la période est pensée par les gouvernants comme un accélérateur de transition ou comme un moment exceptionnel. Malheureusement, on voit que c’est pensé comme une parenthèse. Alors qu’il faudrait au contraire tirer les leçons positives de cette crise : on est dans une période de prévention et on pollue moins. En ce moment, certaines pratiques sont les bonnes. Comment faire pour que cela perdure ? Ce que l’on constate, c’est que le gouvernement n’en parle pas car le pouvoir actuel n’a aucun intérêt à passer au monde suivant et cherche à sauver le monde d’avant (de la voiture, de l’avion, de la consommation non régulée, sans faire contribuer les plus riches aux efforts collectifs). Evitons de rater les opportunités de transition qu’offre la période actuelle.
* A noter la réédition actualisée en avril 2021 du « Que sais-je ? » de Bruno Palier : La réforme des système de santé(PUF).