
Le professeur Romain Basmaci, chef du service de pédiatrie générale de l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes (92), et secrétaire général de la Société française de pédiatrie, lance un cri d’alarme face à la situation des urgences pédiatriques.
Comment s’est passé l’hiver aux urgences pédiatriques ?
Romain Basmaci : L’hiver a été particulièrement tendu. Dès le mois d’octobre, les services des urgences pédiatriques n’ont pas désempli. Nous avons l’habitude de gérer les pics épidémiques, mais là, l’intensité et la précocité de l’épidémie de bronchiolite ont pris tout le monde de court. Nous n’avons pas su suffisamment
de lits. Et pour cause, dans mon service, 20 % des lits ont été fermés. On manque également de place dans les services de réanimation, ce qui nous conduit à garder des cas graves dans des conditions de surveillance inadaptées. Nous sommes obligés de laisser des enfants sur des brancards, dans les box ou même dans les couloirs des urgences. En matière de sécurité, ce n’est pas satisfaisant. Et pour les équipes, c’est stressant, frustrant. Exercer dans de telles conditions devient très difficile. Mais la situation reste identique dans tous les services de pédiatrie hospitaliers.
Comment gérez-vous la situation ?
R. B. : L’alternative est de transférer les patients à 100 voire 200 kilomètres de chez eux. C’est donc très compliqué pour tout le monde : les patients, les familles, les personnels, mais aussi les ambulances et le SMUR (structure mobile d’urgence et de réanimation, NDLR) qui sont chargés du transport… Nous passons énormément de temps à chercher des solutions, au jour le jour. Le personnel paramédical est très sollicité. Dans les services, nous manquons d’infirmiers et aussi de pédiatres.
Pourtant, lors du discours des vœux du président de la République, le ministre de la Santé, François Braun, a annoncé une rallonge financière et de nouvelles mesures pour l’hôpital…
R. B. : Cela était nécessaire mais pas suffisant. L’argent ne résout pas tout, parce que le problème est structurel et le mal, profond. Depuis des années, la pédiatrie
est en sou rance. La pandémie de Covid a aussi laissé des traces. Bref, chaque hiver est plus dur que le précédent. Conséquence ? Nous avons a aire à des petits patients qui sont de plus en plus dans un état grave. On fait sortir les autres le plus vite possible pour libérer de la place, mais outre le fait que certains reviennent avec une aggravation, ceux qui restent sont les patients sou rant de maladies graves. Ils demandent une plus grande attention, des soins adaptés, plus longs, et, bien sûr, du personnel qualifié.
La crise est tellement profonde que certains services ont déjà fermé.
Pr Basmaci.
Quelles seraient les solutions pour sauver le secteur ?
R. B. : C’est un chantier énorme à mettre en place. Car il faut faire une réforme de fond sur la santé de l’enfant. La pédiatrie doit être revalorisée dans les études de médecine et les écoles d’infirmiers. On ne peut pas soigner les enfants comme des petits adultes. Ce sont des patients à part entière, avec leurs particularités. Dans nos études, on passe peu de temps dans cette discipline, et les infirmiers n’en font plus dans leur cursus obligatoire. Il faut redonner envie aux médecins et aux infirmiers de s’occuper de la santé des enfants.
Pourquoi ne reconnaît-on pas cette discipline comme une spécialité à part entière ?
R. B. : La pédiatrie est une spécialité à part entière, il y a un DES (diplôme d’Etat de spécialisation, en quatre ans) de pédiatrie pour les internes en médecine. Mais ce secteur n’est pas du tout mis en avant. Les tarifs hospitaliers pédiatriques sont extrapolés sur ceux de l’adulte. Ils sont moins élevés et ne prennent pas en compte les spécificités des soins des enfants. Heureusement, ces derniers
sont moins nombreux à avoir besoin d’une prise en charge que leurs aînés. Il y a donc moins de recettes et d’argent dans ce secteur. Pourtant, la pédiatrie reste un service public majeur. Nous avons besoin que des moyens financiers et humains pérennes soient alloués aux soins spécifiques des enfants.
Les services d’urgences pédiatriques à l’hôpital tiendront-ils ?
R. B. : L’hôpital tient parce que les soignants aiment leur métier et que, pour beaucoup, c’est une vocation. Mais la crise est si profonde que certains services ont déjà fermé. C’est ça, la réalité. Car les soignants se disent que ce n’est pas pour travailler dans ces conditions qu’ils ont choisi ce métier. D’autres tiennent parce qu’on trouve encore des solutions, jour après jour, et également parce que quitter le service, c’est aussi quitter les petits patients..
Parcours
2012
Romain Basmaci est docteur en pédiatrie.
2018
Il est nommé chef de service de pédiatrie générale de l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP), à Colombes (92).
2019
Le pédiatre devient professeur des universités-praticien hospitalier.
2020
Il est élu secrétaire général de la Société française de pédiatrie (SFP).