Par Jean-Paul Benoit, président de la Fédération des mutuelles de France
Depuis 1974 et les mesures Giscard, pas moins de 49 lois – plus d’une par an en moyenne ! – sont venues modifier et, le plus souvent, durcir les conditions d’entrée et de séjour des migrants. Cette obsession reste celle de ce président et de ce gouvernement qui, tout occupés à marquer « l’acte 2 du quinquennat »,« à dominante régalienne », annoncent mercredi 6 novembre, par la voix du Premier ministre, une série de mesures supplémentaires sur ce thème.
Dans cet amas de réformes, les plus indignes sont celles qui détériorent l’accès à la santé et à la couverture maladie des personnes migrantes. Indignes parce qu’elles touchent au plus fondamental de la condition humaine, la santé et la vie. Ces réformes ont dégradé, au fil du temps, le recours à l’aide médicale d’Etat (Ame), dédiée aux sans-papiers, et les conditions d’accès des demandeurs d’asile à la protection universelle maladie (Puma).
Le gouvernement Philippe va plus loin et promet une nouvelle couche de sédiments réglementaires. Aux bénéficiaires de l’Ame, il impose l’obligation d’obtenir l’accord préalable de la Sécurité sociale pour un certain nombre « d’actes non vitaux », notion vague qui reste à préciser. Aux demandeurs d’asile, il impose trois mois de résidence avant d’avoir accès à la Puma.
Ces mesures sont inutiles, injustes et dangereuses.
Inutiles car l’Ame – moins de 0,3 % du budget de l’Etat – ne met pas en péril l’équilibre des finances publiques. D’autant moins que la couverture maladie ainsi proposée est en dessous de la couverture de base. Inutiles, aussi, car ces personnes sont déjà confrontées à de multiples barrières pour faire valoir leur droit à la santé. Selon les observations de Médecins du Monde, le renoncement au droit est massif et 8 patients éligibles à l’Ame sur 10 n’en sont pas bénéficiaires. Les demandeurs d’asile mettent, eux, déjà plusieurs semaines ou plusieurs mois à faire ouvrir leurs droits à la Puma en raison de la précarité de leur situation matérielle et humaine et de l’encombrement des services administratifs. Inutiles, encore, car on compte, en France, 1,4 demandeur d’asile pour 1 000 habitants, bien moins qu’en Allemagne, en Italie, en Suède ou en Autriche.
L’injustice tient en quelques chiffres. L’Ame est accessible aux étrangers sans titre de séjour qui prouvent des revenus inférieurs à 746 € par mois pour vivre, soit un peu plus de 60 % du Smic. Quand aux demandeurs d’asile à qui on mégote l’accès à la Puma, ils perçoivent une allocation de 430 € mensuelle, soit la moitié du seuil de pauvreté. A 746 € par mois, comme à 430 €, la santé n’est évidemment pas un droit, ce n’est même pas un luxe mais, ni plus, ni moins, un interdit !
Ces mesures, enfin, sont dangereuses pour les personnes et pour la société. Nous parlons de populations qui ont fuit la misère, l’oppression ou la guerre. Leur état de santé est souvent dégradé par leur voyage dans des conditions abominables. Mais nous ne pouvons nous défausser de la responsabilité sur les passeurs et leur barbarie. Loin de l’image délirante du migrant qui, ayant « benchmarké » la protection sociale de différents Etats, vient abuser de notre générosité et des services de pointes de nos Chu, la réalité c’est qu’ici aussi, sous nos yeux, la barbarie continue. Médecins du monde a montré que l’état de santé des migrants arrivés en France continue à se dégrader pendant des années. Les conditions de vie indignes imposées aux arrivants, bien souvent la rue dans la plus grande précarité, sont ravageuses pour l’intégrité physique et mentale. En réduisant encore les faibles possibilités d’accès aux soins de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, nous mettons notre société en danger, non seulement parce que nous devrons faire face, passés les délais et les autorisations, à des pathologies aggravées, mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’en piétinant le droit fondamental à la santé et à la vie de certains parmi les plus faibles, c’est la légitimité de notre société, de nos valeurs que nous compromettons.
Tout ça pourquoi ? Pour assurer la réélection de Macron en 2022 en lui garantissant un nouveau face à face avec l’extrême-droite au second tour, dit-on. Mais si cette éventualité survient, après avoir pris ces mesures sans fondement rationnel, inspirées des thèses les plus nauséabondes de l’adversaire qu’il prétend combattre, quels arguments restera-t-il à ce président-candidat pour prétendre défendre la République ? En passant du statut revendiqué de « rempart contre l’extrême-droite » à celui de marchepied, ce président quitte son déguisement de « Kennedy à l’assaut du vieux monde » endossé en début de quinquennat et lorgne sur celui d’un maréchal von Hindenburg de sombre mémoire.
L’expérience macroniste court le risque de finir marquée du sceau de l’indignité et de l’infamie.