« Une “Sécurité sociale de l’alimentation” permettrait de nourrir tout le monde dignement »

L'agronome Mathieu Dalmais. Photo : Vincent Poillet

Garantir un accès universel à une alimentation de qualité pour tous les citoyens grâce à un système de cotisations sociales, tel est l’objectif de ce concept inspiré du projet d’origine de la Sécu. Rencontre avec l’initiateur de cette idée : l’agronome Mathieu Dalmais. 

Ingénieur agronome de formation, vous avez refusé de recevoir le diplôme à la fin de votre cursus. Pourquoi  ?

Mathieu Dalmais : Pour dénoncer le fait que la formation n’intègre pas suffisamment les questions écologiques et sociales. Ces enjeux essentiels sont abordés de manière marginale. J’ai beaucoup milité au cours de mes études pour dénoncer les choix politiques qui orientent le cursus d’ingénieur.

Quels sont ces choix politiques ?

M. D. : Nous avons un système agricole et alimentaire piloté depuis les années 1960 par l’industrie, et les études d’ingénieur ont comme objectif premier d’en formater les cadres. Avec l’association Ingénieurs sans frontières, nous revendiquons le fait que les formations d’agronomie puissent bénéficier d’un véritable éclairage sur ces questions techniques, pour les mettre ensuite au service de tous. C’est à partir de ces réflexions que j’ai pu élaborer le concept de « Sécurité sociale de l’alimentation » (SSA) afin de répondre à ce même objectif de réappropriation et d’orientation démocratique de notre système agricole et alimentaire.


Le but est de sortir les gens de la pauvreté plutôt que de maintenir les dispositifs d’aide alimentaire. 

Quel est l’objectif de la SSA ?

M. D. : Ce système repose sur l’idée que l’agriculture ne serait plus orientée par le marché et ses acteurs, mais par une véritable réflexion démocratique. Tout en levant également le frein économique, car aujourd’hui les gens n’ont pas assez d’argent pour revenir à une alimentation de qualité. Nous avons donc besoin de repenser intégralement notre politique alimentaire afin de permettre à tout le monde de pouvoir se nourrir correctement.

Comment est née votre idée ?

M. D. : Il m’a fallu du temps pour mûrir ce concept. Il émane de plusieurs travaux scientifiques et de réflexions d’acteurs engagés, comme la Confédération paysanne. Mais également des recherches menées par le sociologue et économiste Bernard Friot, qui a travaillé notamment sur les principes d’origine de la Sécurité sociale, en démontrant qu’il s’agit du système le plus abouti au monde dans le fonctionnement d’un secteur de l’économie fait par et pour le peuple. Et enfin des travaux des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), un réseau d’agriculteurs engagés dans la transition agroécologique, et de ceux de la chercheuse Dominique Paturel sur la problématique de l’aide alimentaire telle qu’elle fonctionne actuellement.

Concrètement, comment fonctionnerait-elle ?

M. D. : A la manière d’une carte Vitale, mais pour l’alimentation. Chacun de nous disposerait d’un montant de 150 euros minimum par mois, destiné à une nourriture choisie. Et comme pour les tickets restaurant, il serait alors possible d’acheter exclusivement certains produits « conventionnés » : des aliments disponibles dans des lieux référencés. Ce budget mensuel, déterminé à partir de nombreux travaux de recherche, serait uniquement dédié à la nourriture et financé par un système de cotisations, de prélèvements sur la valeur ajoutée, comme pour notre Assurance maladie.

Qui déciderait des produits ?

M. D. : De l’avis de tous ceux qui ont réfléchi aux grands principes de la SSA, il est important que ce ne soient pas des experts ni des politiques qui fassent ces choix, mais bien la population elle-même. Car plus l’appropriation du système sera démocratique, plus il a de chances de fonctionner et de se pérenniser.

Concrètement, la réflexion populaire serait menée au sein de groupes institués à l’échelle locale. Comme pour l’organisation de la récente convention citoyenne pour le climat, où des personnes tirées au sort se sont formées aux questions climatiques. De la même manière, pour la « Sécurité sociale de l’alimentation », elles pourraient être sensibilisées sur les risques pour la santé de notre modèle alimentaire actuel, rencontrer des agriculteurs et ainsi délibérer sur les produits à conventionner.

L’un des principes de la SSA est de venir à bout de l’aide alimentaire. Pourquoi ?

M. D. : De nombreux scientifiques insistent sur la différence entre le droit à être nourri, en recevant une quantité de calories suffisante pour ne pas mourir ; et le droit à l’alimentation, qui permet de bénéficier d’une alimentation choisie. Près de 5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire. L’impératif est de sortir les gens de la pauvreté plutôt que de maintenir ces dispositifs. 

PARCOURS
2011 
Etudiant en agronomie, il refuse son diplôme d’ingénieur.  
2015 
Il travaille au sein de la Confédération paysanne, syndicat qui promeut le projet d’une souveraineté alimentaire.
2019 
Lancement du collectif pour une « Sécurité sociale de l’alimentation » (SSA). Plusieurs expérimentations de la SSA sont menées actuellement partout sur le territoire, notamment à Montpellier et à Paris.