Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 prévoie de taxer les organismes de complémentaire santé à hauteur d’1 milliard d’euros en 2020 et de 500 millions d’euros en 2021, avec une révision possible en 2021. Une mesure qui aboutit à faire passer la taxe sur les contrats d’assurance santé de 13,7% à 16,5%. Le sénateur socialiste de Paris, Bernard Jomier, dénonce ce prélèvement car « les mutuelles sont dans le champ social ». Il déplore que le gouvernement ne taxe pas plutôt les secteurs qui, dans le champ économique, ont largement profité de la crise sanitaire. Membre de la commission des Affaires sociales, Bernard Jomier, considère que « c’est un choix politique de laisser les comptes sociaux en déficit, pour réduire la solidarité nationale. L’Etat aurait du prendre à sa charge la dette covid ».
– Vous portez un regard critique sur le fait que le PLFSS pour 2021 prévoie de taxer les organismes complémentaires. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Je suis profondément défavorable à cette mesure car les organismes complémentaires sont dans le champ social. Il y a, dans le champ économique, des secteurs qui ont largement profité de la crise économique comme les transitaires ou les transporteurs, mais il n’est pas question de les taxer. Pourquoi, dans ce contexte de pandémie, taxer les mutuelles qui font partie intégrante de l’accès aux soins ?
Si les complémentaires ont moins dépensé en 2020 qu’en 2019 comme on peut le penser, il faut les laisser rendre l’argent aux cotisants qui ont souffert de cette crise. En outre, il est un peu tôt pour savoir si leur bilan s’est réellement amélioré, les défaillances d’entreprises et les baisses de cotisations liées à la hausse du chômage ne pouvant être mesurées que dans la durée.
«Selon moi, cette mesure purement financière dans le champ de la protection sociale est un choix politique. Les mutuelles ne sont pas considérées comme des acteurs sociaux qui font de la prévention, qui créent du lien social, qui travaillent en partenariat avec la Sécurité sociale».
Selon moi, cette mesure purement financière dans le champ de la protection sociale est un choix politique. Les mutuelles ne sont pas considérées comme des acteurs sociaux qui font de la prévention, qui créent du lien social, qui travaillent en partenariat avec la Sécurité sociale. Cela mériterait d’ouvrir un chantier de réflexion sur la place des mutuelles dans une protection sociale en pleine évolution. Je ne crois pas à un payeur unique qui serait la Sécurité sociale.
– Plus généralement, que pensez-vous de ce PLFSS pour 2021 qui confirme un déficit sans précédent de la Sécurité sociale à 44 milliards d’euros en 2020 et 25 milliards en 2021 ?
Je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un projet politique de laisser les comptes sociaux en déficit avec l’idée de réduire ce qui est pris en charge par la solidarité nationale. Avant cette crise du covid, nous avons eu les PLFSS pour 2019 et 2020 qui avaient déjà artificiellement creusé le déficit de la Sécurité sociale en ne compensant pas les exonérations, ce qui était une première. Cela indique une orientation de fond.
On a reproché à l’ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, d’avoir demandé trop d’efforts d’économies au système de soins. C’est en effet peut-être allé trop loin dans ce sens. Mais sa volonté était de ramener les comptes sociaux à l’équilibre et de démontrer que la Sécurité sociale n’est pas coût mais un investissement. On constate que sur ce sujet, il y a vraiment deux approches politiques opposées.
Certes, la situation est exceptionnelle. Mais plutôt que de faire peser la dette covid sur la Sécurité sociale, l’Etat aurait pu prendre à sa charge la baisse des cotisations liées à l’épidémie. C’est un arbitrage politique qui conduit à réduire les marges de manœuvre de la Sécurité sociale. En outre, faute d’explications, les Français ne retiennent que le déficit vertigineux et doutent de l’efficacité de leur protection sociale.
– Le PLFSS précise les contours de la cinquième branche pour l’autonomie créée par la loi du 7 août 2020. Comment voyez-vous les choses à ce sujet ?
La création de cette cinquième branche est un point très positif. Mais les montants affectés au secteur de la dépendance dans ce PLFSS sont trop faibles. Il n’y a pas le milliard d’euros promis pour 2021 par le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, en juin dernier. On sait qu’il faudra 6 milliards d’euros par an à partir de 2024 et 9 milliards d’euros à partir de 2030. Il faudra donc dégager des mesures financières pérennes quand sera votée la loi « Grand âge et autonomie » dans un an.
Certes, on sait que l’on pourra compter sur 2,3 milliards d’euros à partir de 2024 provenant d’une fraction de CSG (0,15%). Mais, c’est bien insuffisant et il n’y a pas d’autres points de CSG dans la nature. Selon moi, la piste la plus intéressante du rapport Vachey est la taxation des successions [le rapport prévoie d’augmenter le barème de taxation de 20% à 25% pour les héritages dont la part taxable se situe entre 284 128 euros et 552 324 euros, soit un gain de 200 millions pour le Trésor public ; il propose aussi un prélèvement social de 0,8% à 1% sur l’assiette des droits de mutation pour les successions et donations, soit un gain pour l’Etat de 500 millions d’euros].