«Le Droit à la santé n’est pas acquis pour tous» déplore Jacques Toubon.

Jacques Toubon

L’état de santé constitue le 3ème critère de saisine de l’institution au titre de sa mission de lutte contre les discriminations. Le Défenseur des droits quittera ses fonctions cet été. Il revient pour Viva sur la situation de l’accès aux soins en France.

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des discriminations en matière de santé ?

Malgré une consécration par de nombreux textes internationaux et nationaux, le droit à la santé n’est pas acquis pour tous. Les saisines du Défenseur des droits mettent en évidence l’existence de discriminations dans le champ de la santé qui concernent plus particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité comme les personnes en situation de précarité ou de handicap ou encore celles atteintes de maladie chronique.  L’état de santé constitue le 3ème critère de saisine de l’institution au titre de sa mission de lutte contre les discriminations, ce qui représente plus de 10% des dossiers traités pour l’année 2019.

Les situations de discrimination et les inégalités de santé, qui sont parfois liées, se manifestent de différentes manières. Le plus souvent multiformes, elles peuvent se traduire par des difficultés d’accès aux services de santé, une différenciation dans les soins, des refus de soins, un abaissement dans la qualité de la prise en charge, etc. Ces situations ont pour dénominateur commun une différence de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi comme l’origine, l’état de santé, l’orientation sexuelle, etc. et constituent un délit. La loi hôpital, patients, santé et territoire dite HPST est venue modifier le code de la santé publique en complétant la liste des critères prohibés par le fait d’être bénéficiaire de la complémentaire santé solidaire (qui est venue remplacer la CMU-C et ACS depuis le 1ernovembre 2019) et de l’AME. Cette évolution législative a permis de mettre en lumière l’existence des refus de soins discriminatoires qui mettent à mal le principe d’égalité à la santé pour tous avec des personnes qui se voient refuser des consultations du seul fait qu’elles sont bénéficiaires d’une complémentaire santé. 

Comment agir contre les refus de soins démontrés par de nombreux testing ?

La réalité des refus des soins a été attestée par des tests de situation qui ont relevé plusieurs tendances, notamment une fréquence plus élevée de ces situations dans les milieux urbains et auprès des professionnels exerçants en secteur 2 à l’égard des bénéficiaires de la CMU-C ou de l’AME. En octobre 2019, les résultats du test de situation que nous avons réalisé avec le Fonds CMU-C ont montré qu’un cabinet sur dix refuse de recevoir les personnes en raison de leur type de complémentaire santé : 9 % des chirurgiens-dentistes, 11 % des gynécologues et 15 % des psychiatres.

Face à ces situations, de nombreuses personnes ne font pas valoir leurs droits en raison d’une méconnaissance des recours existants ou parce que le fait de trouver un professionnel de santé est prioritaire.  Il parait donc nécessaire de conduire des actions d’information sur les discriminations dans le champ de la santé pour favoriser un accès effectif aux soins. Par ailleurs, la mobilisation des acteurs concernés, et en premier lieu les professionnels de santé et leurs représentants est primordiale sur ces questions. Le rôle des ordres médicaux, qui ont une responsabilité en matière de sanction des professionnels, tout comme celui de l’Assurance maladie, est déterminant.

Tout en permettant à leurs bénéficiaires d’accéder à une complémentaire santé, les dispositifs de la CMU-C et l’ACS les ont stigmatisés. Le risque n’est-il pas le même avec la création de la complémentaire santé solidaire ? 

La création de la complémentaire santé solidaire (CSS) est récente, elle va donc nécessiter la diffusion d’une information à la fois auprès des usagers afin de ne pas augmenter le taux de non-recours qui est déjà élevé s’agissant de ce type de prestation, et des professionnels de santé pour éviter des refus de soins qui pourraient apparaitre en raison de la méconnaissance du nouveau dispositif. A l’instar de la CMU-C ou de l’ACS, la nouvelle complémentaire permet aux patients de bénéficier du tiers payant et de tarifs médicaux sans dépassements d’honoraires. Or, ce droit qui vise à garantir un accès effectif aux soins n’est parfois pas respecté par les professionnels de santé. Les refus de soins sont souvent liés à la pratique de dépassements d’honoraires de professionnels souhaitant les appliquer, en contradiction avec les textes quel que soit le statut du patient. 

La réforme du « 100 % santé » destinée à lutter contre le reste en charge en santé avec des offres spécifiques ne risque-t-elle pas d’entraîner également des stigmatisations de la part des professionnels de santé (opticiens, dentistes…) ?

Cette réforme marque une avancée en ce qu’elle vise à un remboursement intégral de soins qui se révèlent être parmi les plus élevés, à savoir les soins dentaires, d’optique et d’audiologie. Elle pourra être pleinement efficace si elle s’accompagne de mesures visant à garantir un accès effectif aux professionnels de santé et répondre aux difficultés techniques qui sont apparues lors du lancement, en particulier du côté des opticiens. S’attacher à rendre effectif les grands principes de la réforme, c’est avant tout s’attacher à garantir un accès aux soins sans discrimination et de qualité pour chacune et chacun.