« Cette crise montre le besoin d’un revenu universel », pour Guillaume Balas, coordinateur national de Génération.s

Guillaume Balas

 « Nous sommes dans un moment vraiment historique », estime Guillaume Balas, coordinateur national de Génération.s. Un moment qui « demande de remettre en cause le productivisme, soit la manière dont on a fondé nos sociétés depuis deux siècles ». L’ancien député européen (2014-2019) explique que cette rupture nécessaire rend d’autant plus pertinente la mise en place d’un « revenu universel d’existence ». Car, dans un monde qui ne doit plus être centré sur la croissance, il faut déconnecter les revenus du seul travail et les faire reposer aussi sur l’appartenance à la société. Cette crise a montré que nombre de statuts (indépendants, précaires, ubérisés…) auraient été protégés par un revenu universel. Pour la mise en œuvre d’une telle réforme, les mutuelles seraient « utiles dans leur dimension “ œuvres sociales ”, car elles sont au plus près des populations en difficulté ».

Chacun aujourd’hui possède sa lecture de la crise. Quelle est la vôtre ?

Nous sommes dans un moment qui est vraiment historique. L’humanité pour la première fois se trouve confrontée à la limite de sa prédation. On ne sait pas s’il y a une origine écologique à cette crise. Mais on sait qu’elle a un rapport au vivant, via un virus peut-être d’origine animale. C’est la cinquième épidémie grave en dix ans dont trois coronavirus (Sars-Cov, Mers-Cov, Sars-Cov-2 appelé aussi Covid-19), la grippe H1-N1 et le virus Ebola. 

Cela demande de remettre en cause la manière dont on a fondé nos sociétés depuis deux siècles. On a construit sur le productivisme qui s’est décliné sur tous les aspects de la vie : l’école, la protection sociale, le salariat, et même la politique qui oppose ceux qui veulent produire toujours plus (la droite) et ceux qui veulent mieux répartir les gains de la croissance (la gauche). Nous faisons donc face à une crise politique majeure.

Dans son discours du 12 mars 2020, le président de la République a employé le mot « rupture ». Mettre en œuvre une vraie rupture est extrêmement lourd. Cela implique d’affronter les intérêts des puissances d’argent. Mais l’exemple du New Deal de Franklin Delano Roosevelt nous convainc que c’est possible, que des mesures inédites et radicales peuvent être prises. Il y a une dynamique positive en ce sens dans le pays. Cela progresse. 

– Génération.s défend la mise en place d’une « revenu universel d’existence » pour tous. En quoi la crise du covid-19 en démontre la pertinence ?

Avec un pays à l’arrêt pendant deux mois, on a pu voir comment les protections sont variables suivant les situations et comment l’Etat a été appelé à l’aide. Rien de commun entre le cas d’un salarié du privé ou d’un fonctionnaire et celui d’un travailleur indépendant, d’une femme à temps partiel, d’un précaire en Cdd, d’un ubérisé, d’un intérimaire, d’un étudiant qui a perdu son petit boulot absolument vital. On voit bien qu’il est nécessaire de mettre en place ce « revenu universel d’existence » qui est un nouvel outil de protection sociale adapté à ce monde en mutation. Il s’appuie sur deux piliers :

* La fin du productivisme : à partir du moment où l’on doit cesser de produire toujours plus, il faut qu’une partie des revenus soit déliée du salaire direct et de la protection sociale. Cela permettrait de protéger en cas de crise et d’émanciper en temps normal. Nous défendons l’idée d’un « revenu universel d’existence », de la naissance à la mort pour tous, sans conditions de ressources, même pour les riches. Car il s’agit pour nous d’un nouvel élément de protection sociale et donc de cohésion sociale : tout le monde doit être concerné pour y adhérer. En revanche, pour son financement, nous considérons qu’il faut des taux marginaux plus élevés pour les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu.

* Une dimension politique : nous estimons qu’une société démocratique doit le droit à l’existence à tous les citoyens. Nous le comprenons ainsi : j’appartiens à une société, j’ai donc un droit à l’existence, sans quoi il n’y a pas d’exercice de la citoyenneté. Le « revenu universel d’existence » est un revenu politique en dehors de tout rapport à la production. 

– Quelle place pourraient avoir les mutuelles dans la mise en place de ce « revenu universel d’existence » ?

Actuellement, la priorité pour les mutuelles, c’est de retrouver les fondements du mutualisme car, concurrencées par le secteur privé, elles sont menacées de banalisation. Je ne suis pas, comme certains à gauche, favorable à un  « 100% Sécu » qui signerait leur disparition. Les mutuelles sont importantes et doivent davantage faire vivre leurs valeurs, être au plus près de leurs sociétaires, défendre la solidarité et la non lucrativité. 

Dans le cas du « revenu universel d’existence », elles pourraient être dans l’information et l’accompagnement des usagers, car elles sont au plus près de populations précarisées ou en difficulté. C’est leur dimension « œuvres sociales » qui pourrait être d’une grande utilité. 

– Le « jour d’après », quels seront, selon vous, les changements à mettre en œuvre dans l’urgence, puis sans le court et moyen terme ?

La priorité des priorités, c’est un grand plan d’investissement dans les services publics. Il faut investir pour l’hôpital et la dépendance mais aussi dans l’école, l’Université, la recherche, les services des impôts, la poste… Tous les services publics.

En second lieu, il faut mettre en place un « Green New Deal », soit un nouveau pacte écologique et social. Bien sûr, cela implique d’abandonner des modes de consommation. Mais, nous allons faire face à de nouvelles crises liées au dérèglement climatique.  Il nous faut anticiper, même si c’est difficile de faire évoluer la société. On constate une prise de conscience forte en un an dans la population. Aujourd’hui, les mesures sont connues. C’est une question de volonté politique. Et puis, bien sûr, il faut instaurer parallèlement le « revenu universel d’existence ».

Propos recueillis par Emmanuelle Heidsieck