Aux Etats-Unis, un si long combat pour une assurance maladie publique

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Le nouveau président américain, Joe Biden, veut mettre en place une assurance maladie publique. Mais, comme le rappelle le consultant en économie de la santé Philippe Rollandin, il ne suffit pas de la Maison blanche et de la majorité au Congrès pour parvenir à mettre en place une telle réforme. Dans un pays où la santé est un marché comme un autre, la virulence du Parti républicain contre l’idée de programme public de couverture santé est une entrave puissante à toute avancée.

Philippe Rollandin revient ici sur les étapes du dur combat entre Démocrates et Républicains depuis 1945, en passant par la création de Medicare et Medicaid, l’échec du président Bill Clinton, et l’Obamacare, dont l’existence est aujourd’hui suspendue à une décision de la Cour suprême. Dans ce contexte politique, il décrit les obstacles auxquels risque d’être confronté le projet de Joe Biden et ses chances d’aboutir.

Philippe Rollandin

Alors que le nouveau président Joe Biden veut instaurer une assurance maladie publique, on constate que ce sujet est une fracture entre les Démocrates et les Républicains. Pouvez-vous rappeler les étapes de ce long combat pour une sécurité sociale universelle ?

Dans un pays où la santé est un marché comme un autre, on peut en effet parler d’un long combat. Le premier à s’attaquer à la question est John Kennedy, qui fait de la création d’une assurance maladie publique un élément central de son projet « Nouvelles frontières ». Mais, bien qu’ayant la majorité au Congrès, il se heurte à une opposition virulente des Républicains. Et c’est son successeur – après l’assassinat de Dallas -, le démocrate Lyndon Johnson (1964-1969), qui fera aboutir l’idée en créant en 1965 les deux programmes Medicare (pour les plus de 65 ans) et Medicaid (pour les pauvres). 

Grâce à cela, 90 millions d’Américains sont couverts par un programme public, tandis que les salariés bénéficient de l’assurance santé privée de leur entreprise. Mais, à côté de ces deux populations, il y a toujours des indépendants, des intérimaires, des habitués des petits boulots, des chômeurs, des précaires qui n’ont pas les moyens de souscrire une assurance personnelle et ne rentrent dans aucune case. 50 millions d’Américains restent sans couverture à l’issue de la réforme Johnson. La marche est encore longue.

Il faudra ensuite attendre les présidences démocrates de Bill Clinton (1993-2001) puis de Barack Obama (2009-2017) pour que le dossier revienne sur la table. Là encore, comment décrire l’affrontement entre Démocrates et Républicains ?

Cette situation sociale, soit près de 20 % d’Américains sans assurance maladie (50 millions), traverse les années 1970 et 1980 car tous les présidents sont Républicains, à l’exception du Démocrate Jimmy Carter (1977-1981). Il faut attendre l’élection de Bill Clinton en 1993 pour qu’un nouveau projet d’assurance maladie soit avancé. Il charge son épouse Hillary Clinton d’un rapport. Mais, malgré sa détermination, il fait face à l’hostilité des Républicains qui contrôlent le Congrès dès 1994. Le projet est enterré.

C’est donc Barack Obama qui reprend le flambeau. Au départ, il y a une hésitation entre deux projets : soit une sécurité sociale à la française ; soit un système d’aide à l’acquisition obligatoire d’une assurance santé. Face au tollé provoqué par le premier projet, le président Obama opte pour le second et le fait adopter : c’est l’Affordable Care Act (ou Obamacare). Mais l’opposition républicaine est acharnée, d’autant que la réforme suppose un financement fédéral et des Etats. Votée en 2010, elle n’est mise en place qu’en 2014, avec certaines concessions. Cela dit, son bilan est positif : 20 millions d’Américains qui n’avaient pas d’assurance maladie ont désormais une couverture santé.

Puis on peut dire que le président Donald Trump (2017-2021) s’attaque à l’Obamacare…

En effet, Donald Trump met le démantèlement de l’Obamacare au cœur de son programme : il réduit les budgets et supprime la pénalité (l’Obamacare obligeait les personnes à souscrire une assurance santé sous peine d’amende, ce qui était incitatif). Ses attaques parviennent en partie à leur fin : 7 millions d’Américains perdent leur assurance via ce dispositif ce qui réduit à 13 millions le nombre d’Américains en bénéficiant aujourd’hui. 

Surtout, la demande Républicaine d’abrogation de l’Obamacare a été portée devant la Cour suprême qui doit bientôt se prononcer et on peut craindre le pire, maintenant qu’elle est composée de 6 juges conservateurs sur 9.

Dans ce contexte, comment les choses se présentent-elles pour le projet du nouveau président Joe Biden ?

Joe Biden défend une assurance maladie publique ouverte à tous et non obligatoire. Il est plutôt dans une situation favorable avec une majorité au Congrès depuis l’élection du 5 janvier dernier qui lui a donné la majorité au Sénat. Cela dit, il doit aller vite car s’il perd les élections de mi-mandat au Congrès dans deux ans, le projet n’aura plus aucune chance d’aboutir. Par ailleurs, il se peut que le filibuster (obstruction procédurale) soit utilisé au Sénat : pour que ce projet soit adopté, il faudrait alors non pas 51 voix sur 100 mais 60 sur 100. La majorité démocrate étant très juste (50 sénateurs + la voix de la vice-présidente), une telle hypothèse rendrait impossible le vote du Bidencare.

Reste que la crise sanitaire peut aider Joe Biden. Car, aux Etats-Unis, quand vous perdez votre emploi, c’est la triple peine : perte du job, perte de la couverture maladie, pas d’assurance chômage. Dans l’électorat républicain, il y aussi des centristes qui veulent avoir une couverture santé, particulièrement en ce moment.