« Transferts budgets Sécu-Etat : il faut préserver à tout prix l’autonomie de la Sécurité sociale »

Les déclarations du gouvernement sur la pertinence de la prise en charge des affections de longue durée (ALD) ont fait réagir. © 123 RF
Ces dernières semaines, le gouvernement a très clairement évoqué une nouvelle piste polémique : interroger le coût des affections longue durée (ALD), un dispositif qui bénéficie selon le ministère de la santé à treize millions de patients, dont les soins pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie. © 123 RF

Patrice Corbin, membre du comité directeur du Craps (Club de réflexion sur l’avenir de la protection sociale), conseiller maître honoraire à la Cour des comptes.

Alors que la réforme constitutionnelle qui contient le remplacement du terme « Sécurité sociale » par « Protection sociale » doit être présentée en Conseil des ministres fin juin ou début juillet, l’expert du Craps Patrice Corbin s’inquiète des implications d’un tel changement : « s’il s’agit d’étatiser la protection sociale, c’est une négation de la société civile qui est renvoyée au marché ». Il faut donc, selon lui, « préserver à tout prix l’autonomie de la Sécurité sociale ». Revenant sur le rapport Dubertret-Charpy qui préconise un rapprochement des budgets de la Sécurité sociale et de l’Etat, Patrice Corbin met en garde : « si on mélange les enveloppes, cela pose l’acceptation à terme du prélèvement social par les citoyens. »

– La réforme constitutionnelle revient à l’ordre du jour et avec elle le remplacement du terme « Sécurité sociale » par « Protection sociale ». Qu’en pensez-vous ?

Cette volonté d’inscrire le terme de ‘’Protection sociale’’ dans la Constitution en lieu et place du terme ‘’Sécurité sociale’’ est préoccupante et interroge. Il y a deux possibilités : soit il s’agit d’une mesure de gestion, autant dire une mesure qui permet au gouvernement d’utiliser par exemple le budget de la Sécurité sociale pour financer la dépendance ; soit il y a une vraie volonté de changement de modèle social, c’est-à-dire d’étatiser la protection sociale sur le modèle britannique. Il faut bien comprendre la philosophie d’un tel modèle : c’est une négation de la société civile qui est renvoyée au marché. Margaret Thatcher a dit : « La société n’existe pas ».

J’ajoute que le fait qu’il y ait une baisse des cotisations sociales au profit de la Csg comme source de financement de la Sécurité sociale ne justifie aucunement d’aller vers une étatisation et de mettre fin au paritarisme, contrairement à ce qu’on entend souvent. Il suffit de faire le parallèle avec les ressources des collectivités locales : la suppression de la taxe d’habitation va conduire l’Etat à apporter aux collectivités un financement provenant du budget de l’Etat. Cela ne remet pas en cause l’autonomie des collectivités locales. Je crois donc qu’il faut préserver à tout prix l’autonomie de la Sécurité sociale. On ne peut s’appuyer sur un mode de financement pour justifier une politique.

– Comment voyez-vous la possibilité de transferts des excédents de la Sécurité sociale vers le budget de l’Etat, dans la droite ligne du rapport Dubertret-Charpy ?

C’est une vieille idée de budgétaires qui ne voient que la dimension ‘’prélèvements obligatoires’’. Et c’est, à mon sens, une idée perverse parce qu’elle signifie que le social n’existe pas en tant que tel. Dans cet esprit, qui revient à une forme d’étatisation, on ne laisse rien à la société civile. Celle-ci, jusqu’à présent, était impliquée dans la gestion de Sécurité sociale par le biais des partenaires sociaux, même si leur rôle a diminué.

Cette nouvelle politique pose une série de problèmes. Tout d’abord, si les excédents de la Sécurité sociale sont immédiatement utilisés pour combler le déficit de l’Etat, cela ne pousse pas la Sécurité sociale à être à l’équilibre. Sur ce point, je suis au contraire partisan de la création d’un Fonds de réserve de l’assurance maladie, sur le modèle du Fonds de réserve des retraites créé par Lionel Jospin en 1999, de façon à ce que les excédents des périodes de vaches grasses puissent être utilisés pour des enjeux concernant exclusivement le système de santé. Par ailleurs, la sanctuarisation du budget de la Sécurité sociale telle qu’on l’a connue depuis 1945 est une protection de l’assuré social : avec cette fongibilité des budgets Sécu-Etat, rien n’empêche un gouvernement de diminuer le budget chaque année. On sait que l’étatisation beveridgienne, c’est un minimum pour tous. Enfin, une telle politique de transferts pose la question à terme de l’acceptation du prélèvement par les citoyens. C’est jouer avec le feu de confondre les enveloppes. Il peut y avoir une réaction des cotisants qui considèreront que le rapport de confiance est rompu. On parle ces temps-ci du consentement à l’impôt. Prenons garde de ne pas remettre en cause le consentement à la protection sociale : il ne faut pas oublier qu’on demande de l’argent aux gens.

– Le récent rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale s’inquiète de la non compensation par l’Etat à la Sécurité sociale de certaines exonérations ?

Je m’étonne également de cette nouvelle politique de non compensation par l’Etat à la Sécurité sociale de certaines exonérations, telles que les effets des allègements de charges sur les heures supplémentaires et de la suppression du forfait social sur l’intéressement. Je rappelle que le principe de la compensation intégrale par le budget de l’Etat de toute mesure d’exonération a été posé par la loi Veil du 25 juillet 1994 et étendu par la loi sur l’assurance maladie du 13 août 2004.