Santé : les chantiers du prochain gouvernement

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Les questions de santé et de protection sociale sont au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle. Cela répond à une attente des Français, qui, sondage après sondage, se déclarent très majoritairement inquiets pour l’avenir de leur système de soins. Viva fait le point sur les principaux dossiers qui engagent l’avenir.

Immigration, réfugiés, sécurité, chômage, crise économique… Ces thèmes vont être largement débattus lors de la campagne de l’élection présidentielle. Mais quid de la santé et de la protection sociale ?

Selon une enquête réalisée par la Fédération hospitalière de France, deux tiers des Français affirment que les propositions les candidats en la matière auront un impact sur leur choix au moment du vote. Dépassements d’honoraires, déserts médicaux, tiers payant, prise en charge des maladies chroniques, montant des remboursements ou accès à une complémentaire, autant de questions qui interpellent nos concitoyens sur ce qu’ils ont de plus précieux : leur santé.

Véritable fléau pour notre système de santé, les dépassements d’honoraires ont explosé ces dernières années. Quand Raymond Barre, alors Premier ministre, décide en 1980 de créer le secteur 2, qui autorise les médecins à pratiquer des dépassements d’honoraires, il s’agissait de leur permettre de gagner plus sans plomber les comptes de l’assurance-maladie. Les dépassements d’honoraires représentent aujourd’hui un montant de 2,8 milliards d’euros. Pour beaucoup de Français, ils ont pour conséquence immédiate un renoncement aux soins, puisqu’ils ne sont pas couvertspar la Sécurité sociale et restent à la charge des malades ou de leurs mutuelles.

De fortes inégalités régionales

Aujourd’hui, 40 % des spécialistes exercent en secteur 2 et décident de leurs tarifs. Selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), le nombre moyen de médecins en secteur 2 varie selon les Régions. Alors qu’il avoisine 25 %
des médecins en Poitou-Charentes, dans le Limousin et en Bretagne, il atteint 43 % dans le Nord-Pas-de-Calais, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 63 % en Ile-de-France et jusqu’à 90 % à Paris… Ces dernières Régions se caractérisent à la fois par des fortes proportions de médecins à honoraires libres et par des niveaux de dépassements très élevés. Et même en Seine-Saint-Denis, pourtant l’un des départements les plus pauvres de France, et au sein duquel la pénurie de médecins est importante, 40 % des praticiens relèvent du secteur 2.
Créé en 2013, le contrat d’accès aux soins (Cas), dispositif d’encadrement des tarifs, devait permettre de limiter
ce phénomène. Les professionnels de santé qui le signaient s’engageaient à modérer leurs dépassements. Mais cette régulation n’a pas eu les effets escomptés, car des milliers de médecins qui ne pratiquaient pas de dépassements
se sont alors inscrits dans ce dispositif…

Dermatos, gynécos, ophtalmos

Certaines spécialités sont réputées pour « dépasser ». Ce sont les dermatologues, les chirurgiens, les gynécologues et les ophtalmologistes. A Paris, Aix-en-Provence, Lille, Saint-Etienne, Nice ou au Mans, il est presque impossible de trouver un ophtalmo au tarif de la Sécurité sociale. Même chose pour un gynécologue à Lyon, Nice, Paris, Dijon ou Strasbourg. Et l’hôpital n’est pas épargné par le phénomène. En orthopédie, et plus spécifiquement pour la pose d’une prothèse de hanche, 72 % des patients ont dû acquitter des dépassements d’un montant moyen de 225 euros dans le public et de 454 euros dans le privé. Idem pour ceux qui ont recouru à une opération de la cataracte : 71 % ont déboursé 91 euros en moyenne dans le public et 200 euros dans le privé. Enfin, 66 % des patients ayant subi une coloscopie ont acquitté un dépassement de 60 euros dans le public et de 105 euros dans le privé.
Ce ne sont que des moyennes, certains médecins n’hésitant pas à demander plus. Si aucune mesure n’est prise, la situation devrait empirer dans les prochaines années, car les jeunes spécialistes qui s’installent choisissent massivement le secteur
à honoraires libres. En 2010, 6 sur 10 ont fait ce choix, dans les spécialités déjà très touchées par les dépassements, entraînant des conséquences directes sur l’accès aux soins.

La Sécurité sociale

Si notre système de Sécurité sociale couvre bien le risque lourd comme les affections de longue durée (Ald) ou l’hospitalisation, il tend à rembourser de moins en moins les soins courants : forfaits, franchises, déremboursements, prise en charge quasi inexistante en dentaire, en optique et en audioprothèse entraînent un reste à charge de plus en plus important.
Sans mutuelle, il est impossible de se soigner. Or, les taxes qui pèsent sur les mutuelles font augmenter leur prix. Et la généralisation de la complémentaire santé en entreprise ne s’est pas toujours accompagnée de contrats de bonne qualité. Pour ceux qui sont hors entreprise, jeunes, chômeurs ou retraités, le coût d’une mutuelle demeure souvent prohibitif, malgré deux dispositifs, la Cmu-c ou l’aide à la complémentaire santé (Acs), pour les plus modestes. Demain, les menaces sont réelles d’un désengagement encore plus important de la Sécurité sociale, les programmes de plusieurs candidats
en attestent. La question du financement de la Sécurité sociale est aussi au coeur du problème. Actuellement, l’assise
des cotisations sur la seule rémunération du travail aboutit à l’exonération du capital et des produits financiers. Elargir le financement à l’ensemble des richesses produites permettrait de conserver une Sécurité sociale de qualité et surtout plus de justice sociale.

Manque de médecins

Plus de la moitié des Français ont déjà renoncé à des soins en raisonde délais d’attente trop longs pour obtenir
un rendez-vous. Ce type de renoncement n’est pas lié à la détention d’une complémentaire santé, ni à des facteurs économiques, mais bien à la désorganisation du système de soins, qui induit de profondes inégalités selon
les régions et des déserts médicaux de plus en plus vastes*. Il y a trois ans, l’Ufc-Que Choisir avait lancé une opération de testing pour connaître les délais d’attente moyens pour une prise de rendez-vous auprès d’un spécialiste.
Les résultats étaient catastrophiques. Et depuis, la situation s’est encore aggravée. Le délai moyen était de 40 jours pour
un rendez-vous chez un gynécologue et de 133 jours chez un ophtalmologiste… Pis, dans 10 % des cas, il fallait attendre 280 jours pour voir un ophtalmo et 99 jours pour un gynéco… En outre, 15 % des ophtalmos ne sont plus en mesure d’accepter de nouveaux patients. C’est à Paris, dans les Hauts-de-Seine, les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône que les délais d’attente pour un rendez-vous sont les plus courts (de 24 à 40 jours en moyenne). A l’inverse, dans la Loire, dans le Finistère, en Isère et en Seine-Maritime, les délais sont supérieurs à 152 jours. La Loire est en tête des dix départements où le délai d’obtention d’un rendez-vous est le plus lon (205,3 jours en moyenne) après prise de contact avec au moins 20 spécialistes.

Aggravation dans les années à venir

La situation est d’autant plus inquiétante que le vieillissement de la population va entraîner des besoins accrus. Une enquête menée par l’association Imagerie santé avenir et portant sur les Irm révélait que le délai moyen pour obtenir un rendez-vous est de 37 jours. Et il s’allonge d’année en année. Par ailleurs, les inégalités régionales se creusent. En Basse-Normandie, il faut attendre 65 jours, en Corse, plus de 80 jours, en Alsace et en Auvergne, plus de 55 jours.

Maladies chroniques

Les 15 millions de malade chroniques co
ûteraient-ils trop cher ? Et faut-il, comme le pensent certains experts et politiques libéraux, revoir le système de prise en charge des Ald, qui couvre 9 millions de personnes à 100 % ?

Une organisation obsolète

En fait, notre système de soins, conçu pour soigner les maladies infectieuses, organisé autour du spécialiste et de l’hôpital, ne répond plus aux besoins de malades qui nécessitent une prise en charge médicale et sociale, axée sur l’éducation, la prévention et l’accompagnement, avec un réseau de professionnels de santé pluridisciplinaires qui se relaient et utilisent les nouvelles technologies.


Emergence de nouvelles pratiques
Pour les maladies chroniques, tout ou presque est à réinventer, et en premier lieu, le rôle du médecin dans le système de soins, son mode d’intervention et de rémunération. Car, dans ce cas, le paiement à l’acte devient inadapté. C’est la fin d’une médecine solitaire qui s’annonce et l’émergence de pratiques en équipe, solidaires, plus respectueuses du malade et de son parcours de vie. On ne peut que s’en féliciter.

Tiers payant

Décidé par le gouvernement socialiste, le tiers payant sera effectif pour tous les patients le 30 novembre 2017. En terme d’accès aux soins, c’est un véritable progrès, en particulier pour les malades les plus modestes, qui souvent renoncent aux soins ou engorgent les urgences des hôpitaux, faute de pouvoir faire l’avance de frais dans un cabinet en ville. Or, pour de nombreux candidats libéraux, le tiers payant devrait être supprimé, accusé entre autres de déresponsabiliser les patients. Drôle de conception de la médecine et de la maladie, qui sous-entend qu’être malade, aller chez le médecin, relèvent d’un choix, d’un arbitrage, et non d’une nécessité…

INTERVIEW

DEUX QUESTIONS À JEAN-PAUL BENOIT, PRÉSIDENT DE LA FMF, ET THIERRY BEAUDET,
PRÉSIDENT DE LA FNMF

Quel sera le rôle des mutuelles dans le système de santé ?

Thierry Beaudet : Les mutuelles sont déjà bien identifiées dans le champ de la complémentaire santé : non seulement elles financent, mais elles sont aussi, avec leur large offre sanitaire, sociale et médico-sociale (qui comprend plus de 2 600 établissements et services), un acteur de santé. Pour demain, il s’agit donc de savoir comment aller plus loin pour garantir l’accès de tous à des soins de qualité et imaginer les réponses aux nouveaux besoins de la population.

Jean-Paul Benoit : La raison d’être des mutuelles est de permettre à tous d’accéder à la santé. Mais elles ne peuvent compenser à elles seules les défaillances des politiques de santé et la crise du système de soins. Cependant, nous sommes déterminés à agir pour obtenir des pouvoirs publics les réformes indispensables pour garantir l’accès à la santé tout en continuant à nous attacher à répondre aux besoins des assurés sociaux.

Qu’attendent les mutuelles du prochain président de la République ?

J.-P. B. : L’Etat ne doit pas laisser la situation se dégrader en multipliant les mesures partielles et inefficaces, voire régressives. Deux problèmes doivent être traités en profondeur et rapidement. Le financement de l’assurance-maladie doit être refondé pour s’appuyer sur l’ensemble de la richesse produite. Le système de santé doit être réformé afin de remédier à l’obsolescence de l’organisation des soins de premier recours pour décharger les hôpitaux. Et leur financement doit être revu pour lever la pression qui s’accroît sur leur organisation et leurs personnels.

T. B. : Qu’il réponde aux questions et aux préoccupations des mutualistes ! C’est pourquoi, avec PlacedelaSanté.fr,
la Mutualité française s’est placée dans une position d’écoute des préoccupations du mouvement mutualiste et de l’ensemble de nos concitoyens sur les questions de santé et de protection sociale. C’est après le temps de la discussion ouverte, du diagnostic partagé et de l’interpellation que nous ferons part de nos propositions.

RETROUVEZ LES PROPOSITIONS DES CANDIDATS EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE PROTECTION SOCIALE SUR NOTRE BLOG DE LA PROTECTION SOCIALE.