
Interview du Pr Patrice Queneau, de l’Académie de médecine, co-auteur du livre : Sauver le médecin généraliste.
Votre livre est un plaidoyer pour les médecins généralistes, en voie, selon vous, de disparition. Quelles en sont les raisons?
Numériquement d’abord, il y a de moins en moins de médecins. Ensuite, ceux qui exercent – et n’y voyez aucune dimension critique – n’ont plus envie de vivre ce que ma génération a vécu, à savoir, travailler 70 heures par semaine. Enfin, la demande de soins augmente avec la progression du nombre de malades chroniques et de personnes âgées. Et puis, avec le développement de l’ambulatoire, on reporte les soins sur la médecine de ville et en particulier sur le généraliste. Il y a aujourd’hui de véritables déserts médicaux en zones rurales bien sûr, mais pas seulement. Certaines banlieues et certaines petites villes sont concernées.
Pourtant, le numérus clausus ne baisse pas ?
En effet, mais sur les 8 000 étudiants qui réussissent le concours, seulement 3 500 vont devenir généralistes. Mal considérée, pas assez valorisée, la spécialité de médecine générale est souvent le dernier choix des étudiants. Sur ces diplômés, seuls 46 % vont réellement exercer.
C’est-à-dire ?
Certains font des remplacements ou deviennent des intérimaires à vie et font le choix de ne pas s’installer. D’autres deviennent urgentistes, journalistes, homéopathes, allergologues, d’autres enfin, font du conseil pour des firmes industrielles… Ce faisant ils n’exercent plus les fonctions de médecine soignante. Résultat : le nombre de généralistes disponibles baisse de 2 % par an. Et la région la plus touchée, qui a perdu 22 % de ses généralistes en dix ans est l’Ile-de-France. Enfin, ceux qui exercent concrètement – de plus en plus des femmes -, ne travaillent pas nécessairement à plein temps.
Que faire ?
A court terme, mettre en place toutes les mesures incitatives souhaitables, par exemple faciliter l’installation administrative et financière des jeunes médecins. Mais cela ne suffira pas. Il faut aussi utiliser des mesures coercitives. Quand un cabinet ferme, il faut immédiatement mettre en place une chaîne de solidarité dans la région : lancer un appel aux médecins restants pour qu’ils donnent une journée de leur temps, réquisitionner des internistes ou des spécialistes. Il faut aussi en finir avec les éternels remplaçants, en durcissant leurs conditions financières ou de recours… Par exemple après 5 ou 6 remplacements, ces derniers pourraient recevoir une affectation dans un cabinet en attendant qu’un successeur se fasse connaître.
Vous allez vous faire des ennemis ?
Je ne sais pas, mais si tel est le cas, c’est qu’il existe un problème réel dans le recrutement des médecins. Je pense que tout se joue là. Il est temps de professionnaliser le concours d’entrée afin qu’il ressemble à un concours de médecine et non à un parcours ésotérique avec des critères de sélection qui n’ont rien à voir avec la médecine.
Il faut surtout y adjoindre des critères concernant les qualités humaines d’un futur médecin. Il y a un décalage très net entre la réalité du concours et les exigences nécessaires pour être un bon médecin : c’est-à-dire, l’empathie, la motivation, l’envie de soigner.
Quel est, selon vous, le concours idéal ?
On garde les maths, la physionomie, la biologie, mais on introduit une part de médicalisation : reconnaître les symptômes d’un Avc, d’un infarctus, mise en œuvre des bons comportements à adopter face aux grandes urgences. Mais surtout on prévoit un entretien oral comme cela existe au Québec, en Allemagne ou en Italie, qui permette de détecter les aptitudes psychologiques du futur médecin et sa volonté réelle d’exercer concrètement.
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