« La protection sociale, un débat essentiel pour la liberté des citoyens »

Viva Magazine
© Viva Magazine

Colette Bec, professeure émérite à l’université Paris-Descartes, est l’invitée de Viva, membre du laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (Lise), unité mixte de recherche Cnrs et Cnam, eset notre invitée.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’étude de la Sécurité sociale ? 

Colette Bec : le lien entre institutions sociales et démocratie constitue le fil conducteur de mes recherches.
Après avoir travaillé sur l’assistance sous la IIIe République, je me suis intéressée aux deux piliers
de l’Etat social que sont le droit du travail et la Sécurité sociale. Leur crise, depuis les années 1970, est à mes yeux celle de la démocratie.

Pourquoi parle-t-on si peu de la protection sociale en France, alors qu’elle représente 30 % du Pib ?

C. B. : elle n’est pas totalement absente cependant, mais le plus souvent abordée sous un angle prioritairement budgétaire, celui des économies à faire. Dans ces conditions, les débats se limitent aux experts, dépossédant ainsi les citoyens d’une question essentielle pour leur liberté.

Pourquoi ne l’enseigne-t-on pas ?

C. B. : c’est paradoxal, en effet, pour une pièce essentielle tant de la médecine libérale que du fonctionnement de l’hôpital… Du côté du médecin comme de celui du patient, on méconnaît l’institution
qui permet leur mise en relation. C’est un symptôme de sa délégitimation politique et de l’ignorance de son rôle dans la cohésion sociale.

Comment et pourquoi sommes-nous passés du politique à l’économique sur ces questions ?

C. B. : dès la fin des années 1960, le « trou » de la Sécu focalise l’attention. La place prise par les règles du marché dans tous les secteurs de la vie sociale impose le thème au détriment des finalités du système. L’impératif de solidarité s’étiole face au chacun pour soi. L’idée que certains biens comme la santé méritent d’être soustraits à la logique marchande paraît de plus en plus désuète, voire incongrue.

Un nouveau président de la République vient d’être élu. Au regard des annonces de son programme, que peut-on dire sur ses propositions en matière de Sécurité sociale et de système de soins ?

C. B. : Emmanuel Macron dit souhaiter préserver un système fondé sur la solidarité. Il envisage aussi les moyens d’une autre pratique médicale avec le développement des maisons de santé et de la télémédecine, une meilleure articulation avec les mutuelles… Mais il veut favoriser la concurrence ! La concurrence, qui dégrade la santé au rang d’une marchandise, est-elle compatible avec la solidarité ? On peut en douter.

Dans le même domaine, quelles devraient être selon vous les priorités du prochain gouvernement (Sécu, système de soins, déserts médicaux…) ?

C. B. – Nous savons par expérience que des réformes partielles ou prises au coup par coup ne suffisent pas à régler les problèmes de fond, voire ont des effets pervers. La responsabilité du politique serait de dégager une vue d’ensemble des problèmes sans perdre de vue un principe de solidarité malmené. La situation de l’hôpital, très préoccupante, en est un bon exemple puisque son statut, son mode de financement, sa gestion… sont interdépendants et déterminés par la finalité de l’institution. Professer
la solidarité ne suffit pas. Il faut qu’elle inspire effectivement les réformes. Enfin, j’ajouterai que l’éducation à la solidarité reste un impératif, au moment où le consentement à cette valeur recule du même pas que le consentement à l’impôt. Tels sont les enjeux du moment. l

BIO
Sociologue, Colette Bec est l’auteure de

La Sécurité sociale. Une institution de la démocratie, Paris, Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2014, 328 p., 23 €.

De l’Etat social à l’Etat des droits de l’homme ?, Presses universitaires de Rennes, coll. Res Publica, mai 2007,
237 p., 20 €.

De la responsabilité solidaire. Mutations dans les politiques sociales d’aujourd’hui, coordination et introduction avec Giovanna Procacci, Syllepse, juin 2003, 288 p., 22 €.