« Il faut créer des espaces de santé là où il y a des besoins »

centre de soin dentaire mutualiste Oxance Digne
L’équipe du centre dentaire Oxance Mutuelle de France à Digne. © Eric Franceschi

Jean-Claude Eyraud, président de la Mutuelle de France Alpes du Sud, et Rémy Charpy, président de la délégation territoriale de la Mutualité Française des Alpes du Sud, sont très inquiets de la situation de l’offre de soins dans les deux départements alpins. Ils alertent sur le manque d’espaces de santé. 

Les mutualistes rencontrent tous les jours des difficultés pour obtenir des rendez-vous, notamment chez des spécialistes. Les chiffres mis en lumière dans le rapport de l’Observatoire régional de la santé 2022 sont sans appel. Nos départements sont sinistrés et manquent d’espaces de santé. Ils disposent chacun d’un conseil territorial de santé (CTS). Ces CTS regroupent des membres de toutes les instances concernées par la santé, dont les représentants de la mutualité.

A ce titre, Jean-Claude Eyraud, président de la Mutuelle de France Alpes du Sud, et Rémy Charpy, président de la délégation territoriale de la Mutualité Française des Alpes du Sud, membres des CTS, participent à l’élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l’évaluation du projet régional de santé. Au sein de ces organismes, ils sont force de propositions et portent la voix des mutualistes.

De moins en moins de généralistes

Le rapport de l’observatoire régional sous les yeux, Jean-Claude Eyraud commente : « Avec 112 généralistes pour 100 000 habitants, le 05 est un peu mieux doté que le 04, qui en compte 102 pour 100 000 habitants. En France, il y a 86 généralistes pour 100 000 habitants, on pourrait donc penser que tout va bien ici, or ce n’est pas le cas ! Combien de personnes n’ont pas de médecin référent ? De ce fait, elles ne peuvent bénéficier du parcours de soins et sont donc moins bien remboursées par la sécurité sociale. »

Par exemple, 5 721 personnes n’ont pas de médecin référent dans le 04. Et les chiffres sont édifiants : si, en France, la baisse du nombre de généralistes sur les dix dernières années est de 5 %, elle est de 8 % sur le 05 et de 13 % sur le 04 ! Rémy Charpy pointe la « course à l’échalote » des collectivités territoriales pour faire venir des médecins. « On est content quand on en a un dans son territoire, mais c’est au niveau du département que le maillage doit être fait, on doit y travailler pour tout le monde. »

Sur ce sujet, il se félicite de l’initiative du département 04 qui a lancé une étude visant à bien cibler les besoins médicaux dans leur ensemble. « Mais nous allons perdre beaucoup de médecins dans les cinq ans qui viennent, tout le monde le sait, rappelle-t-il. Il faut absolument faire des projections sur cinq, six ans. »

« Les spécialistes ? Une catastrophe ! »

Pour certaines spécialités, les chiffres sont éloquents. Par exemple, en 2021, le 04 comptait 1,8 dermatologue pour 100 000 habitants et 3,6 dans le 05. L’exemple des dentistes est aussi frappant. Les établissements de soins mutualistes, comme Oxance Mutuelle de France et ses centres dentaires de Digne et de Sisteron, font leur possible pour apporter des réponses aux déserts médicaux et couvrir les besoins de la population. Mais ils ont des difficultés à recruter.

« A Sisteron, les deux fauteuils du centre sont sans dentiste depuis dix-huit mois, précise Jean-Claude Eyraud. Les libéraux n’arrivent plus à recruter non plus. Les praticiens vont exercer sur le littoral. Et il y a aussi le fait que les étudiants ne peuvent se libérer plusieurs semaines d’affilée pour venir chez nos dentistes. » Dans cette spécialité, la densité est inférieure dans les départements alpins à celle constatée au niveau régional.

Choix de vie

« Toutefois, ajoute le président, la crise est nationale avec 53 dentistes pour 100 000 habitants. Mais ce que ces chiffres ne relèvent pas, c’est que ces professionnels sont nombreux à travailler à temps partiel. C’est un choix de vie. Les vrais chiffres devraient se calculer au nombre d’heures passées “au fauteuil”. » « Aujourd’hui plus qu’hier, les médecins veulent logiquement avoir une vie familiale et sociale », complète Rémy Charpy. Pour les deux responsables mutualistes, il faudrait une révision du zonage des dentistes et optimiser les aides à l’installation vers les zones sous-dotées.

L’autre problème, celui des urgences dentaires, a été pris à bras-le-corps au centre mutualiste de santé dentaire de Gap par l’instauration de permanences. Dans plusieurs disciplines, les spécialistes sont beaucoup moins nombreux dans les deux départements alpins qu’au niveau de la région, et ils sont 92 dans le 04, soit pratiquement 50 % de moins (notamment chez les gynécologues et les pédiatres) que dans le 05 (143). En 2016, la Mutualité Française a mis en place une équipe mobile de santé visuelle qui sillonne les deux départements. Jean-Claude

Eyraud et Rémy Charpy se posent la question d’étendre le dispositif. « Dans le 05, il y a le projet de développer une offre pluridisciplinaire mobile dans les zones rurales. On pourrait l’envisager sur les deux départements, et peut-être ajouter à la santé visuelle, une équipe mobile dermique (dermato) avec prises de photos ? Il faut y réfléchir. »

Baisse constante de l’offre médicale

Les deux hommes considèrent la baisse constante de l’offre médicale dans nos départements comme « un véritable drame ». Et de conclure : « Ce n’est pas la peine d’ouvrir des maisons de santé s’il n’y a personne dedans. Par contre, s’il faut créer des espaces de santé parce qu’il est nécessaire de regrouper des médecins là où les gens n’ont pas accès aux soins, oui, il faut le faire. Et il est très important de miser sur un maillage territorial. » 

JEAN-MARIE DELMAËRE