Tout le monde a le droit de bien manger

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Nous vivons aujourd’hui une véritable fracture alimentaire.

Tandis qu’une frange privilégiée de la population a accès à une éducation du goût et à des produits de qualité, la majorité des citoyens est soumise à un paysage de consommation dicté par la grande distribution. Cette fracture est certes largement liée au niveau des revenus du foyer et aux catégories sociales, mais elle est aussi profondément culturelle. Elle est liée à une certaine idée de la place de l’alimentation dans la vie, à une culture des goûts qui se construit dès l’enfance, à un savoir-faire qui se transmet ou s’apprend, à une cuisine du quotidien rapide, goûteuse, et saine.

Une autre fracture sépare le monde agricole des consommateurs. L’industrialisation massive de l’agriculture française aboutit à ce paradoxe : la plupart des agriculteurs, soumis à la culture intensive, ne nourrissent plus leurs concitoyens. La course à la productivité, à l’export, et aux tarifs les plus bas, a eu pour conséquence l’anéantissement de l’agriculture vivrière de nombreux pays.

Peut-on accepter que nos enfants et petits-enfants ne disposent ni de la qualité, ni de la diversité alimentaire qui sont encore fragilement les nôtres aujourd’hui ? Peut-on accepter que notre alimentation et ses modes de production soient cancérigènes et sources de maladies quand elle devrait apporter santé et bien- être ? Peut-on accepter de léguer aux générations futures des territoires pollués?

Comme tant d’espèces animales en voie de disparition, des milliers de variétés de fruits, légumes et poissons, sont progressivement rayés de notre carte alimentaire.

Nous ne pouvons nous résigner à manger ce menu unique, offrant pour seule abondance des produits uniformisés et insipides, au détriment de notre santé.

Agriculture, environnement, santé, économie, culture, éducation : tous les piliers de notre société contemporaine sont concernés par ce péril alimentaire. Il ne s’agit pas d’un débat de riches ou de pauvres, ni d’une question patrimoniale, régionaliste ou nationaliste : les enjeux alimentaires dépassent aujourd’hui de très loin les frontières et nous affectent tous, citoyens, producteurs ou consommateurs, au quotidien. Pour lutter contre ces menaces grandissantes, l’accès au « bien manger » ne doit pas être un privilège mais un droit inaliénable et indépendant de toute notion de revenu. Aucun citoyen ne doit être mis à l’écart de ce droit pour des raisons économiques, sociales ou culturelles. Si l’on ne fait rien, la majorité des agriculteurs et éleveurs ne seront bientôt plus que de simples ouvriers à la solde de multinationales « hors sol ». Ce fléau impacte directement nos sphères privées ou publiques, que l’on mange à la maison, à la cantine ou au restaurant.

Par cette tribune, nous revendiquons un droit au bien manger pour tous les citoyens. Ce n’est ni un luxe ni une utopie : il est possible et impératif de mettre en place des actions concrètes pour défendre une alimentation goûteuse et saine, ainsi qu’une agriculture qui soit durable pour ses producteurs comme ses consommateurs, pour les hommes comme pour la Terre.

De nombreuses études prouvent qu’une agriculture paysanne, réduisant les intrants chimiques, utilisant des semences rustiques et fondée sur des principes agro-écologiques plutôt que sur des bases productivistes, peut nourrir une population grandissante, avec des produits de meilleure qualité, en réduisant l’empreinte écologique des cultures ainsi que les dangers pour la santé de tous. Il est nécessaire d’instaurer une véritable éducation du goût dans les écoles publiques, qui s’inscrive dans le programme et l’alimentation scolaire.

Cette déclaration se veut aussi un appel aux responsables politiques, candidats à la prochaine élection présidentielle française de mai 2017. Nous leur demandons de s’emparer de cette question, nous leur demandons de prendre la mesure du péril alimentaire qui nous guette, nous leur demandons de répondre autrement à cet enjeu que par des décisions anecdotiques ou purement symboliques. Les prochains présidentiables doivent intégrer cette question essentielle dans leurs programmes et prendre des mesures dans les domaines agricoles, alimentaires, culinaires et éducatifs, pour soutenir et développer ce droit de tous au bien manger. Ce droit va de pair avec une alimentation plus équilibrée et mieux partagée, une agriculture plus respectueuse des hommes et de la nature, et plus généralement, de meilleures pratiques citoyennes.

Il est essentiel de se mobiliser et d’agir dès maintenant, pour que les générations futures puissent manger et vivre mieux demain qu’aujourd’hui.