« On organise la mise en invisibilité de la souffrance au travail. »

MARIE PEZÉ, PSYCHOLOGUE Marie Pezé est docteure en psychologie, psychanalyste, experte auprès de la cour d’appel de Versailles. ENTRETIEN ANNE-MARIE THOMAZEAU  PORTRAIT HAMILTON/REA Il y a vingt ans, nous découvrions grâce à vous la question de la souffrance au travail. Aujourd’hui, tout le monde en parle. Mais les choses évoluent-elles? Marie Pezé – Depuis l’ouverture de ma consultation Souffrance au travail en 1996, la situation s’est bien aggravée. Nous avons aujourd’hui 200 consultations, ce n’est pas bon signe. Ce qui a changé, c’est que l’on sait. Dans les années 1990, nous, spécialistes de la santé au travail, alertions sur les risques des organisations du travail et managériales telles qu’elles se mettaient en place. Or, cette évolution n’a rencontré aucune résistance. Ces organisations ont été imposées partout, avec les conséquences que l’on connaît. On sait mais on ne fait rien? M. P. – Pis : on organise la mise en invisibilité de la souffrance au travail. Ce n’est pas un enjeu de santé publique et cela ne le sera pas tant que cette question relèvera du ministère du Travail et non de celui de la Santé. La souffrance au travail serait subjective, seuls les salariés les plus fragiles craqueraient. Je maintiens à l’inverse que ceux qui disjonctent sont des « sentinelles ». Ils ne veulent pas brader la qualité du travail. On parle pourtant beaucoup du burn out, du harcèlement au travail… M. P. – Oui, mais ils sont devenus des concepts poubelles. On met y tout et son contraire. La réalité et la psychopathologie du travail sont bien plus subtiles. Nous n’avons pas de législation qui reconnaît la souffrance au travail. Il est quasi impossible de faire reconnaître les atteintes psychologiques en maladie professionnelle. Le droit ne prend en compte que les événements datés, pas les pathologies induites par des processus. Vous semblez peu optimiste pour un changement possible. M. P. – Il ne faut pas attendre des changements de l’Etat ou des dirigeants d’entreprise. Voilà pourquoi nous avons mis en place des consultations souffrance au travail avec des partenaires sur le terrain. Nous recevons d’ailleurs de plus en plus de cadres de haut niveau complètement «cramés». C’est pareil dans la justice, l’éducation… C’est toute l’intelligence du pays qui est mise en péril par cette idéologie managériale. « Certains disjonctent parce qu’ils ne veulent pas brader la qualité du travail. » En quoi consiste-t-elle? M. P. – A gagner en productivité à tout prix. Les salariés sont précarisés. On les colle dans des open spaces. Le salarié est cantonné à sa fiche de poste, alors que l’on sait que les entreprises tournent grâce à l’inventivité, la créativité, l’énergie que vous rajoutez à cette simple définition de poste. Cette intelligence n’est pas reconnue. Parallèlement, on détruit la médecine du travail. Les salariés ne voient plus le médecin du travail que tous les quatre ans. La situation est encore aggravée par les contraintes de procédures rajoutées par les technologies : algorithmes, reporting… Les conditions de travail deviennent folles. A vouloir toujours plus de productivité, on

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