Céline Boussié : son combat pour l'enfance polyhandicapée

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Dans son livre choc, Céline Boussié dénonce les maltraitances impunies dans un établissement spécialisé qui accueille des enfants polyhandicapés. Un véritable cri d’alarme.

Dans la première partie de son livre*, Céline Boussié raconte son entrée à l’institut médico-éducatif Moussaron à Condom (Gers), dont on lui avait dit le plus grand bien. Enthousiaste et motivée, elle fait ses premiers pas dans cet univers qu’elle ne connaissait pas auparavant mais qu’elle a choisi, heureuse de pouvoir enfin exercer un métier qui lui plaît : s’occuper des autres et particulièrement des enfants polyhandicapés.

Mais à peine embauchée, c’est le choc. Elle est le témoin effaré des pratiques en cours dans cet institut : des enfants nus, laissés à l’abandon, attachés dans des nacelles, brûlés, abandonnés… Certains d’entre eux en mourront par manque de soins.

Maltraitance, omertà, jeux de pouvoirs… Au début, Céline Boussié essaie de résister, proposant de nouvelles façons de travailler pour traiter avec plus de bienveillance, ou tout simplement plus d’humanité, ces enfants lourdement handicapés. Mais elle est vite rattrapée par une hiérarchie sourde à toutes ses propositions.

La deuxième partie de son livre raconte son combat, celui d’une lanceuse d’alerte déterminée à aller jusqu’au bout pour que justice soit faite dans cet établissement, pour que les responsables soient punis et que les enfants trouvent enfin un lieu serein où grandir. Entretien avec Céline Boussié.

Quels étaient vos objectifs en écrivant ce livre ?

Dénoncer les agissements des responsables de cet établissement et rendre justice aux enfants qui ont été oubliés pendant des années, malgré les faits accablants, notamment recensés dans un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en 1997 qui n’a jamais été rendu public. Pourtant, il permet de comprendre comment cet établissement a dysfonctionné et pourquoi, avec des connivences politiques. Mon objectif est que ce livre ouvre un vrai débat sur les conditions de vie dans ces établissements mais pas seulement. En France, c’est l’ensemble du médico-social qui dysfonctionne.

Vous considérez-vous comme une lanceuse d’alerte ?

Oui, dans la mesure où je dénonce la maltraitance, et où je me bats pour que le système, au sein de cette institution, s’arrête. Je me bats aussi pour qu’il y ait une prise de conscience car cet établissement est loin d’être le seul dans ce cas. Je dénonce la maltraitance physique :  les coups, le manque de soins mais aussi tout le système, une « maltraitance institutionnelle », qui amène à des dérives aussi graves que celles dont j’ai été témoin. Ce mot ne figure pas dans le Code pénal. C’est aussi l’objectif de ce livre, porter ce débat dans l’Hémicycle.

Sans parler de la maltraitance dont j’ai été victime personnellement et professionnellement. Non seulement j’ai été licenciée, poursuivie en diffamation par mon ex-employeur, puis relaxée, mais nous avons été contraints de déménager et avons été placés sous protection policière. Mes enfants ont payé un lourd tribut… Et je suis constamment insultée sur les réseaux sociaux. En France, les lanceurs d’alerte ne sont pas assez protégés, je ne suis pas un cas à part. Beaucoup de ceux qui ont dénoncé ont perdu leur emploi et n’en ont jamais retrouvé.

Quels sont vos objectifs aujourd’hui ?

Nous avons porté nos revendications aux Nations unies, et la rapporteure de l’Onu a pris le dossier en mains. Elle doit remettre son rapport en mars 2019 sur la situation de la France. Je pensais que ça allait obliger la France à prendre des mesures drastiques. Mais pour l’instant, cet établissement n’est pas encore condamné, aucune enquête judiciaire n’est en cours.

Et les parents dans tout ça ?

Ils sont désemparés, car trouver une place en institution est une vraie galère. Il faut quand même beaucoup du courage pour dénoncer, s’attaquer à un système. Et les familles d’enfants handicapés, qui ont vécu de véritables parcours du combattant, n’ont pas forcément cette ressource…
C’est pour cela que nous avons proposé un accompagnement et une reconnaissance de ces familles car, elles aussi, peuvent devenir, dans un sens, des lanceurs d’alerte. Mais en effet, c’est une question de courage, d’autant que la société n’est pas tendre avec elles. Dès lors qu’on met un enfant en situation de handicap au monde, elle vous renvoie l’idée que l’on a fait naître un « boulet », une charge. Je trouve absolument monstrueux que l’on maintienne ces familles dans la culpabilité.

* Les enfants du silence, Donner une voix à ceux qui n’en ont pas, Céline Boussié, éditions Harper Collins, 18 €.

Maison des lanceurs d’alerte.