« Nous souhaitons être des éveilleurs de conscience »

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Les « Pinçon-Charlot », ce couple de sociologues engagé à la ville comme sur la scène sociale, se battent depuis cinquante ans pour plus de justice et d’égalité. Interview.

Comment qualifieriez-vous le climat social actuel ?

Monique Pinçon-Charlot –

L’année 2015
a été marquée par de terribles événements :
les attentats, la montée du Front national
aux élections régionales. Il y a une noirceur du
climat, que ce soit socialement, politiquement
ou d’un point de vue écologique. On voit
bien que notre planète est en danger.
Tout me paraît lié et être la cause d’une
violence dans les rapports sociaux. Les classes
moyennes et populaires perdent leurs repères.
On l’a vu en octobre 2015, lors de la grève
d’Air France, quand le directeur des ressources
humaines s’est fait arracher sa chemise.
Les images ont fait le tour du monde. On s’est
ému pour lui, mais la vraie violence, ce sont
bien les salariés d’Air France qui la subissent.
Michel Pinçon – Cette violence dans
les rapports sociaux s’est beaucoup
aggravée avec le néolibéralisme, cette
nouvelle phase du capitalisme dans laquelle
la finance prend le pas sur la politique
et qui met au chômage des millions de
Français. L’effet sur les gens est désarmant.
Le sentiment dominant est que les marchés
commandent, que tout cela est naturel
et que l’on n’y peut rien. L’idée même
de changement n’est plus pensable.
Etes-vous pessimistes ?
M. P.-C. – Nous sommes des sociologues
et nous n’avons pas à être optimistes
ou pessimistes. Nous souhaitons être
des « éveilleurs de conscience », donc nous
sommes dans le combat. Notre travail consiste
à analyser la guerre de classe que mènent
les plus riches contre les peuples et nous
voyons que les classes moyennes et populaires
sont de plus en plus désenchantées.
Alors qu’elles veulent juste plus d’égalité,
de justice et vivre leur vie normalement !
Cette violence sociale que vous
décrivez va-t-elle continuer ?
M. P.-C. – Bien sûr ! On sent une vraie
colère profonde de tout le peuple français
car il y a de plus en plus de rapports de force
dans notre société. D’ailleurs, les travailleurs
ne sont toujours pas représentés dans
le champ politique. Il y a un problème
d’étouffement de cette parole des travailleurs
qui sont, eux, créateurs de richesses !
Les inégalités vont
continuer à s’accroître
à une vitesse inouïe.
MONIQUE
ET MICHEL
PINÇON-CHARLOT,
Sociologues,
anciens directeurs
de recherche
au Cnrs.
Auteurs de
le Président des
riches, enquête sur
l’oligarchie dans
la France de
Nicolas Sarkozy,
éd. Zones, 2010,
14 €.
La Violence des
riches, chronique
d’une immense
casse sociale,
éd. Zones, 2013,
17 €.
Tentative
d’évasion (fiscale),
éd. Zones, 2015,
17 €.

❝ M. P. – La casse sociale va continuer
de plus belle, légitimée par les responsables
politiques qui se sont fait élire au nom
de la gauche. Et nous voyons bien que
les valeurs de « Liberté, égalité, fraternité »,
n’ont plus de crédit. D’où cette montée
du FN avec ses valeurs identitaires
qui sont devenues celles de la classe populaire.
Les inégalité sociales vont-elles
s’accroître ?
M. P.-C. – Oui, et à une vitesse inouïe !
Lorsque l’on voit les grandes fortunes
mondiales, et la concentration des richesses…
Imaginez que, d’après un rapport d’Oxfam*,
1 % des habitants de la planète possèdent
aujourd’hui 48 % des richesses mondiales,
contre « seulement » 44 % en 2009.
Le seuil des 50 % devrait être passé en 2016 !
Comment voulez-vous que les inégalités
ne croissent pas, compte tenu de cette
disproportion ! Le fossé entre les grandes
fortunes et les autres deviendra abyssal.
Et nous, nous disons qu’il faut mettre un frein
à l’évasion fiscale, car ce sont les fraudeurs
les plus riches qui sont les vrais voyous.
Ils privent les gouvernements des recettes
fiscales de millions d’euros. S’ils n’exilaient
pas leur fortune dans les paradis fiscaux
et payaient leurs impôts, eh bien,
on n’aurait plus de trou de la Sécu…
Cette question est justement
au coeur de votre dernier livre,
Tentative d’évasion (fiscale) ?
M. P.-C. – Notre ouvrage est une enquête,
que nous avons menée avec l’aide des lanceurs
d’alerte qui ont révélé bon nombre d’affaires
d’évasion fiscale. C’est une immersion dans
ces paradis fiscaux qui sont une création de la
classe dominante qui ne veut plus contribuer
à une quelconque solidarité avec les peuples,
qui sont le dindon de cette farce fiscale. l
* www.oxfamfrance.org/communique-presse/
justice-fiscale/en-2016-1-plus-riches-possederont-plusque-
reste-population
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