Implants médicaux : une règlementation fantaisiste

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Implants mamaires, prothèses de hanche… les implants médicaux sont-ils soumis à une règlementation stricte ? Il semblerait que non, d’après une vaste enquête mondiale menée par le consortium international de journalistes d’investigation (Icij).

Depuis l’enquête « Implants files » [fn]« Implants files » est une enquête menée pendant 4 ans dans 36 pays, par le consortium international de journalistes d’investigation (Icij). Elle dénonce le manque de lisibilité de la règlementation et du contrôle de ces implants médicaux.[/fn], le sujet sur les implants médicaux (prothèses, implants mammaires, stents, pacemakers, pompes à insuline…), ne cesse de rebondir et révèle surtout une énorme faille dans la surveillance des effets secondaires de ces produits.

https://news-europe.fr/implant-files-10-questions-pour-comprendre-laffaire-des-implants-medicaux/9324/

Le point de départ

Tout est parti d’une expérience d’une journaliste néerlandaise, en 2014. Elle prend en photo un filet d’orange qu’elle envoie à différents organismes pour obtenir un marquage CE. Son but ? Faire homologuer « ce produit » comme mèche vaginale en vue d’une autorisation de mise sur le marché. Trois organismes lui donnent leur aval. A partir de l’expérience de la journaliste, une vaste enquête est menée pendant quatre ans dans trente six pays.

Au mois d’octobre dernier, en France, un rapport confidentiel de l’Igas (dont le journal Le Monde avait révélé la teneur) signalait à Agnès Buzyn de nombreuses anomalies concernant la surveillance des effets indésirables liés à l’utilisation des dispositifs et des implants médicaux. En effet, dans la base de matériovigilance de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (Ansm), « les champs concernant le type de dysfonctionnement ou les conséquences pour le patient restent vides. Certains incidents sont déclarés avec un an de retard, quand ce n’est pas huit ans plus tard », indique le quotidien. De son côté, « l’organisation actuelle de la matériovigilance pourrait avoir du mal à absorber une augmentation des incidents critiques et majeurs », note l’Igas. Bref, la quadrature du cercle.

Quelle règlementation actuelle ?

Pour pouvoir être commercialisé sur le marché européen, contrairement à un médicament, un implant médical n’a même pas besoin de faire la preuve de son bénéfice, ni de fournir des résultats d’essais cliniques sur l’être humain. Il doit simplement prouver qu’il fonctionne comme prévu et qu’il est sûr. L’expérience de la journaliste montre que ces deux critères ne donnent pas toujours lieu à des vérifications. Et le consortium d’investigation de pointer un conflit d’intérêts majeur dans le secteur : ce sont les fabricants qui choisissent et paient les organismes notifiés, sociétés à but lucratif à qui les autorités délèguent le contrôle, pour qu’ils valident leur produit. « Les contrôlés paient leurs contrôleurs », résume Le Monde.

Sur France.info, on décrit bien les conséquences d’une tel fonctionnement : « Impossible de le savoir avec certitude, tant la…traçabilité de l’implantation de ces dispositifs et des incidents dont ils sont responsables est lacunaire, voire inexistante. Seuls les Etats-Unis recueillent de manière détaillée les incidents relatifs à ces dispositifs médicaux. La base américaine, partie émergée de l’iceberg, recense 82 000 morts, 1,7 million de blessés et 3.7 millions de défaillances entre 2008 et 2017. Les pompes à insuline équipées d’un capteur de glycémie arrivent en tête des signalements et les systèmes de dialyse péritonéale automatisée sont responsables du plus grand nombre de décès (2624).

En France, la base « MRVeille », tenue par l’ANSM, fait état d’un nombre d’incidents qui a doublé en dix ans, avec plus de 18 000 cas en 2017 et environ 158 000 incidents en dix ans. Mais il est  « impossible de dénombrer et d’identifier avec précision les incidents, c’est-à-dire de connaître la marque et le modèle des implants posés », donc de retrouver les patients en cas de problème, résume Le Monde, citant le cas emblématique des prothèses PIP. « Dans la quasi-totalité des cas ne figurent ni l’âge du patient ni son sexe. 36 % des champs ‘dysfonctionnements’ et 81 % des ‘conséquences cliniques’ sont vides. »

Depuis 2006, les chirurgiens doivent inscrire dans le dossier médical toutes les données relatives à la traçabilité des implants : nom, numéro de lot et série. La consigne est peu respectée, tout comme l’obligation de déclarer les événements indésirables. La déclaration d' »incident grave » est obligatoire pour les fabricants, mais cette obligation n’étant énoncée que dans des « termes généraux », tous les fabricants ne retiennent pas les mêmes critères. Une base de données européenne, Eudamed, doit être mise en ligne en 2020, mais les Etats membres sont en désaccord sur le degré d’informations à donner. 

Interrogée sur Franceinfo, Agnès Buzyn a reconnu que les dispositifs médicaux constituaient depuis longtemps une source d' »inquiétude » pour les ministres de la Santé. « Tous les ministres de la Santé savent que…

la réglementation est insuffisamment robuste », a-t-elle déclaré, assurant que la France portait depuis plusieurs années une demande d’« exigence supplémentaire autour de la régulation des dispositifs médicaux ». Autre enjeu sur lequel la ministre est mobilisée : parvenir à une déclaration systématique des événements indésirables. « En réalité, les médecins souvent sous-déclarent, parce que c’est long, reconnaît-elle. Soit ils considèrent que c’est un évènement indésirable habituel et que cela fait partie des risques, donc, ils ne le déclarent pas, soit l’évènement indésirable est tellement inattendu qu’ils considèrent que c’est sans lien avec le dispositif. »

 

Le fruit de leur enquête, nommée « Implant files », pointe les failles du système réglementaire, révélées par le scandale sanitaire des prothèses PIP ou, plus récemment, des implants contraceptifs Essure.