Comment faire valoir le modèle mutualiste auprès des instances européennes ? Et comment les mutuelles peuvent-elles se développer en Europe ? Telles étaient les questions au cœur d’un débat organisé le 25 février par l’Association des directeurs d’organismes de mutualité (Adom) et l’Institut de la protection sociale européenne (Ippse). Deux pistes se sont dégagées nettement : obtenir la reconnaissance au niveau européen de l’Economie sociale et solidaire (Ess), dont les mutuelles sont partie intégrante ; et réussir à faire adopter par la Commission européenne une nouvelle notion de « lucrativité limitée », en réponse aux besoins de l’Ess. Un combat qui demande de la patience mais qui semble s’inscrire dans un contexte favorable.
Alors que la Mutualité française a lancé le manifeste « Construisons ensemble l’Europe sociale de demain ! » le 4 février, un débat intitulé « Mutuelles et Europe » s’est tenu dans ses locaux le 25 février, organisé conjointement par l’Adom et l’Ispe. Il s’agissait de rappeler qu’il est fondamental pour les mutuelles de parvenir à se positionner au plan européen et de s’interroger sur les moyens pour y parvenir. Car le modèle mutualiste n’est pas reconnu en tant que tel par les instances européennes. Cela implique donc en permanence de trouver des biais pour obtenir cette reconnaissance et ne pas être assimilé à des entreprises capitalistes classiques.
Une tâche difficile comme l’a évoqué Corinna Hartrampf, de l’Association internationale de la mutualité (Aim). Elle a expliqué pourquoi la directive sur le statut de la mutuelle européenne n’a pu voir le jour : « On s’est battus pendant des années, mais six pays de l’Union européenne, dont l’Estonie et la Pologne, n’ont pas de mutuelles et l’adoption de cette directive nécessitait l’unanimité. Ces pays ont bloqué le processus. » Face à cela, l’Aim et les autres représentants du monde mutualiste ont mis en œuvre un nouveau projet : obtenir un statut légal européen de l’Economie sociale et solidaire (Ess) dont les mutuelles sont partie intégrante. « On veut faire adopter une recommandation par la Commission européenne fixant les principes de l’Ess, ce qui donnerait un statut européen aux mutuelles. Nous notons un intérêt de la Commission bien plus important que par le passé. L’époque est favorable », a affirmé Corinna Hartrampf. Une impression partagée par le directeur général d’Ipse, Jean-Claude Genêt : « L’Ess, c’est plus de 10 % de l’économie européenne et c’est en train de bouger. »
Une piste complémentaire consiste à faire émerger une nouvelle notion, celle de « lucrativité limitée », aux côtés du lucratif et du non lucratif, qui serait adaptée aux entreprises de l’Ess et répondrait à leurs besoins : cela permettrait d’admettre que, tout en étant non capitalistes, les entreprises de l’Ess réalisent des échanges monétaires et des bénéfices. Très impliqué dans ce combat, le conseiller du Comité économique et sociale européen (Cese), Alain Coheur, a indiqué que le lobbying pour donner un cadre légal à l’Ess et faire adopter la « lucrativité limitée » nécessite beaucoup de patience et d’endurance. « Il faut toujours expliquer ce qu’est l’Ess, et ce n’est pas simple, sachant que c’est la direction générale Marché intérieur et croissance de la Commission européenne qui est en charge du dossier », a-t-il déploré, tout en pointant que, sur 353 membres, le Cese compte seulement deux représentants mutualistes, lui-même et la Française Jocelyne Leroux. Alain Coheur a confié travailler avec un think tank bruxellois pour sensibiliser les eurodéputés et les membres de la Commission et préparer une grande conférence sur l’Ess qui se tiendra à Strasbourg à l’automne prochain : « Le leitmotiv, c’est défendre la pluralité des acteurs sur le marché européen, c’est dire qu’il n’y a pas que le modèle capitaliste. »
Constatant que « l’avenir de la Mutualité passe par l’Ess », le président de l’Adom, Bruno Huss, a aussi relevé « qu’une partie de notre avenir en France dépend de notre capacité à exporter le modèle mutualiste à l’étranger ». A ce propos, Marie Blanchard a exposé la stratégie de développement international du groupe Vyv, premierracteur de la complémentaire santé en France et deuxième en Europe : « Nous considérons qu’il est essentiel de proposer des couvertures santé avec nos valeurs dans des pays étrangers. C’est une façon de promouvoir le modèle mutualiste à l’extérieur de nos frontières et de renforcer la Mutualité en France. » Finalement, le directeur des Affaires publiques de la Mutualité française, Yannick Lucas, a lui aussi insisté sur la « nécessaire reconnaissance de l’Ess au niveau européen ». Et rappelé que la Mutualité française a décidé de faire entendre sa voix pendant la campagne des élections européennes car « le modèle mutualiste est capable de fournir des réponses aux crises économiques en Europe, notamment à la crise sociale que nous traversons en France ». La Mutualité française organise donc un grand débat le 11 avril prochain, préparé par des ateliers citoyens, avec l’objectif d’interpeller les pouvoirs publics sur la question de la Mutualité en France et en Europe.
Emmanuelle Heidsieck