Quand les stéréotypes perturbent les diagnostics

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Des médicaments non adaptés aux femmes, des maladies détectées bien trop tard… Selon certains chercheurs, la médecine prendrait encore aujourd’hui trop peu en compte les spécificités propres à chaque sexe.

Les hommes sont-ils plus sujets aux maladies cardiovasculaires ? Les femmes ont-elles tendance à être plus déprimées ? Si certaines maladies frappent plus souvent les hommes et d’autres plus souvent les femmes, une unité de travail du comité d’éthique de l’Inserm alerte sur l’impact des clichés liés au genre dans la pratique médicale. Fin novembre, elle était à l’origine d’une conférence « Sexe et genre dans les recherches en santé : une articulation innovante », qui a réuni, à huis-clos, des professionnels de santé du monde entier.

L’enjeu est important. Dans les années 1990, des élues américaines ont dénoncé des pratiques médicales mises en place vingt ans plus tôt : l’exclusion des femmes des essais cliniques par peur de voir les tests de médicaments pertubés par leurs variations hormonales, ou de provoquer des dommages sur celles qui pourraient être enceintes. Des médicaments destinés à soigner cancer du sein et cancer de l’utérus ont ainsi été testés sur des hommes, jugés à l’époque plus fiables.

Seulement 30 % de femmes dans les essais cliniques

Des études ont pourtant montré depuis que les femmes étaient deux fois plus touchées que les hommes par des effets secondaires suite à une prise de médicament. En Europe et aux Etats-Unis, des mesures ont été prises ces vingt dernières années pour pallier le manque de femmes dans les essais cliniques. Mais ce n’est pas le cas de la France, où les femmes ne représentent aujourd’hui encore que 30 % des volontaires pour les tests de médicaments.

« Sous prétexte de parité, on a trop longtemps évité en France de reconnaître les différences biologiques liées au sexe, entre les hommes et les femmes, au nom de l’égalité mais au mépris des évidences scientifiques. Or certaines stratégies thérapeutiques ou préventives efficaces pour les individus d’un sexe ne sont pas adaptées à l’autre sexe », écrivent les chercheurs Claudine Junien et Nicolas Gauvrit dans un article publié dans The Conversation. Ils plaident pour une recherche et une médecine « sexuellement différenciées » qui prennent en compte les spécificités de chaque sexe afin de mieux soigner les patients.

Les hommes aussi concernés par l’ostéoporose

Campagne de sensibilisation lancée sur Youtube par l’Inserm en octobre 2017

Pour Catherine Vidal, qui co-dirige l’unité de travail sur le genre à l’Inserm, mieux soigner les patients passerait d’abord par prendre conscience des stéréotypes de genre qui peuvent gêner un diagnostic. Car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la première cause de mortalité chez les femmes n’est pas le cancer du sein mais les maladies cardio-vasculaires. Elles en meurent même plus souvent que les hommes (56 % contre 46 % chez ces derniers). La faute à un imaginaire collectif qui fait des crises cardiaques et des Avc, des affections typiquement masculines. Or non seulement ce n’est pas le cas, mais les symptômes diffèrent chez les femmes et sont moins bien connus. En découlent une prise en charge tardive et un suivi moins important que chez les hommes, ce qui entraîne un risque plus fort de rédicive.

« Autre cas d’école, l’autisme est souvent sous-diagnostiqué chez les petites filles, censées être plus calmes et timides, alors qu’il est rapidement soupçonné chez les garçons, censés être bagarreurs et ouverts sur le monde », souligne Catherine Vidal.

Trop peu de moyens pour travailler sur le genre en médecine

De la même manière ostéoporose ou troubles de la thyroide, des pathologies habituellement associées aux femmes peuvent impacter des hommes, qui seront tardivement diagnostiqués. « Si l’ostéoporose était habituellement expliquée par une baisse d’œstrogènes chez les femmes ménopausées, on voit bien que pour les hommes cette explication ne fonctionne pas, poursuit la neurobiologiste. Il faudra chercher d’autres facteurs. Cette prise de conscience va permettre d’ouvrir de nouveaux champs de recherche. »

Mais encore faudrait-il convaincre les professionnels qu’il s’agit là d’une vraie question de santé publique. Car pour le moment, contrairement à ce qu’il se passe en Europe – la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Irlande ont ouvert des établissements dédiés à la médecine genrée dans les années 2000 -, la France ne dispose encore d’aucun institut autonome qui travaille sur la question.

« Il y a une mission pour la place des femmes au Cnrs, mais elle ne vise que la progression des carrières. Au sein de notre comité, à l’Inserm, nous menons des analyses et nous sensibilisons à la question. Mais à part des colloques et des clips vidéos, nous n’avons pas d’autres véritables démarches, regrette la chercheuse. En Allemagne, un grand institut se consacre à la question en toute indépendance, avec son propre budget. Ce dont nous ne disposons pas. »

Pour aller plus loin :

Est-il vrai que les médicaments soignent moins bien les femmes ?

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