Pour l'intégration des sans-papiers au régime général : le coup de gueule de Médecins du monde

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A l’heure où les régimes spéciaux, Sécurité sociale étudiante en tête, tendent à fusionner avec le régime général, l’intégration de l’Aide médicale d’Etat, le régime applicable aux sans-papiers, ne semble pas être à l’ordre du jour. Si certains politiques, à l’instar de François Fillon ou de Marine Le Pen, lors de la dernière campagne présidentielle, ont appelé à sa disparition pure et simple, l’Ong Médecins du Monde milite pour un accès universel à la santé. 

Thierry Malvezin, membre du conseil d’administration de Médecins du Monde.

Combien de personnes bénéficient de l’Ame en France ?

On estime que l’Aide médicale d’Etat bénéficie à un peu plus de 300 000 personnes en France. Pourtant, sur le terrain, on observe que quasiment 90 % des personnes qui passent par nos missions n’ont pas l’Ame alors qu’elles devraient théoriquement en bénéficier. Cette aide devrait toucher peut-être le double, ou peut-être seulement dix mille personnes de plus, nous ne savons pas exactement. Les sans-papiers représentent une part de la population par définition difficile à estimer.

Pourquoi ce système touche-t-il si peu de monde ?

L’accès réel à l’Ame est rendu compliqué sur le territoire. Instauré dans les années 2000, l’Ame s’est parée de plusieurs conditions au fil des années. Il y a d’abord les trois mois de résidence en France à justifier, puis un droit de timbre de 30 euros à régler depuis les années Sarkozy [une condition supprimée depuis 2012, Ndlr]. L’Ame n’est valable que douze mois et doit donc être renouvelée tous les ans : cette complexité inhérente au système crée des ruptures dans les parcours de soins.

La méconnaissance du droit et de la langue sont aussi des obstacles majeurs. Si on n’est pas accompagné par un travailleur social, les démarches administratives sont très compliquées, même pour quelqu’un qui est intégré et qui maîtrise correctement le français. Quand on vit dans la rue, quand on a vécu des traumatismes, se poser pour ouvrir un droit relève souvent du parcours du combattant. Venir chercher la carte délivrée par l’assurance-maladie peut également être perçu comme un risque pour des personnes sans-papiers, avec la peur d’être contrôlées par la police.

Sans parler du fait que, pour une personne qui vit dans la précarité, la santé n’est pas une priorité au regard des premières nécessités : se nourrir, rester au chaud. En général, elles ne se présentent à nous qu’une fois qu’elles sont vraiment malades.

Que changerait une intégration au régime général ? 

Beaucoup de professionnels de santé refusent de pratiquer des soins aux bénéficiaires de l’Ame alors qu’ils y sont normalement contraints par la loi. Ils évoquent souvent des raisons financières (avec ce régime, les remboursements prennent plus de temps à arriver) mais il y a aussi clairement des raisons idéologiques. L’Ame est devenue un outil politique. Il y a la fameuse théorie de l’appel d’air : si on soigne des sans-papiers, on risque d’encourager l’immigration. Or, 95 % des personnes qui viennnent en France ne viennent pas pour se faire soigner. Les intégrer au régime général pourrait ainsi mettre fin à ces discriminations.

Les questions d’économies sont aussi à prendre en compte. Si on intègre l’Ame à la Sécurité sociale, cela va réduire les coûts de gestion. Il faut aussi savoir qu’une prise en charge tardive entraîne des dépenses plus élevées et une plus grande difficulté pour les médecins. Il faudrait au contraire faire un réel effort de prévention et de dépistage chez les plus précaires.

Et, outre le fait que toute personne devrait avoir accès aux soins dans un pays dont les valeurs sont l’égalité et la fraternité, c’est aussi une vraie question de santé publique. Si les Mst et le diabète sont les principales pathologies que rencontrent nos médecins, certaines maladies, comme la tuberculose, refont surface. Si ces personnes ne sont pas soignées, cela fait peser un risque global sur le territoire. 

Quelles perspectives avec ce nouveau gouvernement ?

Il y a une forte réticence du côté de la classe politique. La question a été posée par des députés à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui a clairement signifié son opposition. On affirme ainsi que les citoyens français seraient contre. Pourtant, plusieurs institutions neutres, le Défenseur des droits en 2014, ou l‘Inspection générales des affaires sociales en 2010, ont donné les mêmes recommandations que nous !

Nous allons donc poursuivre notre plaidoyer. D’autant que, d’ici quelques mois, la situation risque de se dégrader. La politique sécuritaire menée par Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, ne fait qu’augmenter la précarité de ces populations et aggraver leurs pathlologies. Médecins sans frontières, qui opère à l’étranger habituellement, est de retour dans l’Hexagone depuis quelques mois, notamment pour les mineurs isolés. C’est un indicateur assez fort de la situation actuelle en France du point de vue humanitaire.

Si au niveau politique peu de choses risquent de changer, en revanche, on observe une vraie mobilisation citoyenne. A Calais, ou dans le sud de la France, on assiste à un réel changement : la population s’empare de ces sujets, de nouveaux acteurs apparaissent. C’est un motif d’espoir.