«On n'a pas le droit de laisser quelqu'un se noyer »

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Sos Méditerranée est une association de sauvetage en haute mer crée en 2015 dans un élan de la société civile européenne mobilisée face à l’urgence humanitaire en Méditerranée. Entre janvier 2014 et Mars 2018 13792 personnes ont été recensées comme s’étant noyées en mer méditerranée centrale par l’Organisation internationale des migrations. Cette situation dure depuis une vingtaine d’années et nombreux sont ceux qui ont disparu sans témoins. Depuis sa première mission en février 2016 l’Aquarius et les équipes de Sos Méditerranée ont porté secours à 29138 personnes. Rencontre avec Sophie Beau, Cofondatrice et Directrice générale de l’association

 

Pourquoi avoir décidé de créer cette association ? 

J’avais travaillé dans le milieu humanitaire en particulier dans la lutte contre l’exclusion en France au sein de la « Fnars », de « Médecins du Monde » et de « Médecins sans frontières ». J’étais donc sensibilisée à ces questions. Depuis la fin des années 2000, il y avait de nombreux naufragés en Méditerranée mais personne n’en parlait vraiment. Le tournant s’est fait en 2013 avec le drame de Lampedusa. Le 3 octobre, une embarcation transportant 500 personnes fait naufrage près de cette île proche de la Sicile. La catastrophe fait 366 morts. Il s’agit de la deuxième plus grande tragédie en Méditerranée depuis le début du 21e siècle. C’est un électrochoc qui va donner une visibilité aux milliers de décès intervenus depuis 2000. A la suite de ce drame, le pape François va faire un sermon très médiatisé sur la globalisation de l’indifférence. L’Italie va alors mettre en place un imposant dispositif de sauvetage en mer « Mare Nostrum». Celui-ci va durer un an et les marins italiens vont repêcher 100 000 migrants … L’Italie va appeler à l’aide de nombreuses fois la communauté européenne mais sans succès. Au bout d’un an l’opération Mare Nostrum est arrêtée. 

Il n’y a dès lors plus aucun dispositif de sauvetage en Méditerranée ?

Non, à partir de novembre 2014, la Méditerranée redevient un trou noir. Après l’arrêt de « Mare Nostrum » les naufrages ont été terribles. C’est à cette époque que je rencontre Klaus Vogel, un capitaine de marine marchande allemand. Il voulait faire quelque chose. Il avait l’expertise maritime, moi celle de gestion de projets. Au printemps 2015 nous avons lancé Sos Méditerranée, représentée aujourd’hui dans 4 pays : Allemagne, Italie, Suisse et France. 

Avec le bateau « Aquarius » vous commencez les opérations en mer ?

Oui il s’agissait de rendre opérationnel le devoir d’assistance. Tout comme on ne peut pas laisser un blessé sur le bord de la route, on n’a pas le droit de laisser quelqu’un se noyer ? Le droit à la vie est un droit constitutionnel et pourtant il est aujourd’hui remis en cause. L’axe Lybie-Italie est très meurtrier. Il faut plusieurs jours de bateaux pour relier les deux côtes. Or les embarcations affrétées par les passeurs ne sont pas faites pour arriver. Pour la seule année 2016, nous allons réalisé 250 opérations. Je me souviens d’un jour de janvier 2017 où nous avons reçu 7 appels de détresse différents. Nous avons pu nous rendre seulement au plus proche. Que sont devenus les autres ? Notre rôle est de sauver bien sûr, mais pas seulement. Nous voulons aussi témoigner et informer. Nous possédons aujourd’hui 15 antennes dans toute la France. Nos bénévoles organisent des évènements, animent des conférences y compris en milieu scolaire.

Avec le changement de gouvernement en Italie, « l’Aquarius » est immobilisé…

On a laissé trop longtemps les italiens seuls en première ligne pour gérer la crise des migrants. Il y a une responsabilité évidente de l’Europe. Avec le nouveau gouvernement, la politique italienne a changé. En juin 2018, lors d’une intervention, l’Aquarius se retrouve avec 660 personnes à son bord près des côtes italiennes. Le droit maritime impose que les naufragés soient débarqués au port le plus proche et le plus sûr. Mais l’Italie, va se mettre en infraction totale avec les règles de droit en refusant que nous accostions. Face à l’impasse, le gouvernement espagnol a proposé d’accueillir l’Aquarius à Valence, soit une semaine de mer. Le bateau n’avait pas la capacité d’embarquer plus de 100 personnes pour un si long voyage. Le gouvernement italien a donc décidé d’affréter deux frégates et notre flottille s’est dirigée vers Valence. Suite à ce voyage, -le dernier-, le gouvernement italien s’est attaqué à nous. Nous avons été dépavilloné par Gibraltar puis par Panama, état qui a reconnu que le gouvernement italien avait menacé de sanctions la flotte panaméenne si l’Aquarius conservait son pavillon. Puis l’Italie a lancé une procédure de séquestre préventive. Le motif étant que l’équipage de l’Aquarius avait à son bord une mauvaise gestion des déchets. Le procureur a fait du zèle et l’Aquarius est donc reparti vers son port d’attache à Marseille. Aujourd’hui toutes les ONG de sauvetage en mer ont été interdites de travailler.

Mais les naufrages, eux continuent.

Oui… La Méditerranée est redevenue un trou noir, on sait qu’il y a eu 244 morts en janvier, Mais combien d’autres ? Le 19 mars, par exemple, 49 personnes ont été sauvées par un bateau de marine marchande et ont pu débarquer à Malte. On a pu dire que les ONG de sauvetage en mer favorisaient le départ des migrants. C’est entièrement faux. On connaît la situation en Libye. Il y aurait 700 000 personnes piégées dans des camps, victimes de viols, de tortures, d’esclavage. Avec ou sans nous, les familles continueront à tenter de partir pour échapper à l‘enfer. 

De quoi vivez-vous ?

A l’origine, nous avions lancé une importante opération de crowfunding et recueillir 275 000 euros en 6 semaines. Aujourd’hui nous vivons à 93 % de dons et 7 % de subventions venant principalement sur les réserves parlementaires, mais celles-ci devraient baisser à 2 %.  Certaines collectivités locales, la région Occitanie ou La Nouvelle Aquitaine ainsi que de petites municipalités nous aident. Pour le reste, 75 % viennent de donateurs privés et 20 % du mécenat de fondations, d’entreprises ou d’associations. Par exemple, Emmaüs nous soutient beaucoup. 

Vous allez repartir en mer ?

Oui

Quand ?

On vous en reparle… Bientôt