« Nos équipes constatent un recul des droits », Florence Rigal, présidente de Médecins du Monde

Centre d'accès aux soins et d'orientation Médecins du Monde à Marseille. © OLIVIER PAPEGNIES / Médecins du Monde
Centre d'accès aux soins et d'orientation Médecins du Monde à Marseille. © OLIVIER PAPEGNIES / Médecins du Monde

Florence Rigal a été nommée présidente de Médecins du Monde en juin 2022. Celle qui a mené ses premières missions pour l’ONG il y a déjà 30 ans revient sur les combats de l’organisation internationale en faveur de l’accès aux soins pour tous.  

Florence Rigal, présidente de Médecins du Monde © Marie Pierson

Comment œuvrez-vous au sein de Médecins du Monde sur l’accès aux soins et les questions de santé ?

Florence Rigal : Nous luttons au quotidien contre l’effondrement du système de santé et pour l’accès aux soins de tous. Les bénéficiaires de Médecins du Monde sont surtout de jeunes. 7 sur 10 sont des hommes et presque 30 % sont en France depuis au moins trois mois. Par ailleurs, un peu plus d’un tiers vit dans des squats, des hébergements à très court terme… Ces personnes s’adressent à nous pour des questions de santé et/ou pour un accompagnement social. Leurs problèmes de santé et leurs difficultés d’accès aux soins sont liés à leurs conditions de vie. En raison notamment des questions de santé sexuelle et mentale, de maladies chroniques… Je tiens à insister sur un point : les gens ne viennent pas en France pour se faire soigner. Mais, comme tout un chacun, ils ont des besoins en santé.  

Quelles sont les reculs constatés concernant l’accès à la santé ?

Florence Rigal : Parmi les personnes que nous rencontrons, la grande majorité n’a pas de couverture santé (environ 80 %). Alors que 30 % ont des droits potentiels. Les dernières réformes ont vidé les couvertures maladies des étrangers précarisés de leur substance. Elles ont introduit un délai de carence de trois mois à la couverture maladie des demandeurs d’asile. Et réduit l’accès du panier de soins de l’Aide médicale de l’État (AME), qui est le dispositif mis en place pour les étrangers en situation irrégulière afin qu’ils puissent bénéficier d’un accès aux soins. Depuis, toutes les équipes constatent un recul des droits et un alourdissement des démarches retardant leur ouverture.

Quelles actions menez-vous sur ces question d’accès aux droits ? 

Florence Rigal : Les personnes se trouvant sur le sol français ont des droits. Ceux qui nous intéressent en particulier chez Médecins du Monde concernent l’accès aux services publics, le droit à une domiciliation et à la couverture maladie (l’Aide médicale d’État, la Protection universelle maladie et la Complémentaire santé solidaire). Mais nous observons que ces droits ne sont pas ouverts pour de nombreuses personnes. Quand d’autres n’en ont pas du fait de leur situation administrative. Au départ, Médecins du Monde pensait qu’il suffirait de mettre en place des aides administratives pour permettre à ces personnes de les ouvrir. Mais nous nous sommes rendus compte que la réalité est plus complexe. Les freins à l’ouverture de droits sont nombreux


Quels sont ces freins ? 

Florence Rigal : Ils peuvent être législatifs, liés à la barrière de la langue et à l’accélération de la numérisation des démarches administratives depuis la crise Covid-19. Ainsi qu’à la fermeture des guichets. Mais ce n’est pas tout. Le dépôt d’une demande, si complète soit-elle, est extrêmement difficile voire ubuesque. Les pratiques dans l’accueil des personnes et l’instruction de leurs demandes sont en effet fréquemment abusives au regard des textes. A l’image des demandes excessives et non justifiées de pièces supplémentaires, du refus de pièces réglementaires… A quoi s’ajoutent des situations irrégulières, des conditions de vie difficiles et des besoins en santé importants qui compliquent encore cet accès. Notre combat est de faire tomber ces barrières. Si les personnes ne sont pas prises en charge dans le droit commun, leur parcours de soins sera aléatoire et précaire. Elles n’auront pas le suivi dont elles ont besoin. Ou elles connaîtront des retards dans le recours aux soins et dans leur prise en charge. 

Comment Médecins du monde lutte concrètement pour faire tomber ces barrières ? Quelles actions sont mises en place sur le terrain ? 

Florence Rigal : L’accompagnement social est un premier moyen de faire tomber ces barrières. Le rappel des textes légaux et réglementaires lors des échanges avec la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) sur des dossiers individuels permet parfois la résolution du problème, voire la fin d’une pratique abusive. Certaines équipes de Médecins du monde développent également les formations à destination des agents de la CPAM et des partenaires associatifs. Le lobbying auprès de la CNAM, du ministère de la Santé et des parlementaires permet également d’avancer sur des obstacles aux droits.

Une fois leurs droits ouverts, ont-ils un meilleur accès aux soins ? 

Florence Rigal : Un meilleur accès non… Ils peuvent y avoir accès, et encore pas facilement. De manière générale, les hôpitaux sont saturés, les déserts médicaux se développent, l’accès aux soins en tant que tel est de plus en plus difficile pour toutes et tous. Pour les personnes accompagnées dans nos programmes, qui s’avèrent précarisées et qui ne parlent pas forcément français, des obstacles supplémentaires s’érigent. Le non-usage ou le mauvais usage de l’interprétariat, les refus de soins discriminatoires et le non-accès, pour les bénéficiaires de l’Aide médicale de l’État aux politiques de prévention réservées aux seuls assurés sociaux par exemple.

Alexandra Luthereau