L'anorexie, mon démon

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Tombée dans l’anorexie à l’âge de quatorze ans, Elina peut désormais, à vingt ans, s’exprimer librement à ce sujet sans être le jouet de la maladie qui l’a trop longtemps manipulée.

L’anorexie est un sujet de société à la mode. On en parle partout, pourtant cela reste une maladie que la plupart des gens ne comprennent pas. C’est parce que j’ai envie de raconter mon vécu de cette pathologie et de détruire les clichés que je témoigne aujourd’hui.

Mon témoignage est personnel et ne se pose pas en modèle ni exemple à suivre. Il doit être reçu comme un message d’espoir. Chaque histoire est différente, même si l’on retrouve des similitudes parmi les patientes. Un point important : nous ne sommes pas anorexiques, nous souffrons d’anorexie mentale.

Un parcours tortueux

Mon parcours pour guérir a été très mouvementé et loin d’être agréable mais j’en ressort plus forte et plus sûre de moi. Je suis passée par trois hospitalisations dont une qui a duré un an. Ma plus grande souffrance morale a été d’avoir le sentiment de faire du mal à mes proches.

Mais désormais, je sais que ce n’est pas de ma faute s’ils ont souffert, c’est de celle de la maladie. Accepter que l’on est atteinte d’une maladie dont on n’est pas responsable est déjà un pas de géant vers la guérison. Ma plus grande douleur physique, c’est la sensation de froid : le corps privilégie les organes vitaux, ce qui laisse les extrémités glacées en toute saison.

Un cauchemar éveillé

Avec du recul, j’ai la sensation d’avoir été consciente de ce qui m’arrivait, tout en étant incapable d’intervenir. L’anorexie, c’est un démon invisible qui s’adapte à la personnalité de l’individu et qui connaît par cœur ses failles. Pour moi, l’anorexie a exacerbé les caractères de ma personnalité les plus flagrants : surinvestissement scolaire et mental, sensibilité et perfectionnisme poussés à l’extrême résumaient mon quotidien. Ce démon me manipulait si bien que je n’étais plus moi-même, tant physiquement que mentalement.

De la violence pour plus de douceur

Tous veulent guérir, mais tous ne sont pas capables de le dire, ni même d’en avoir simplement conscience. Et l’anorexie est si forte qu’elle oblige à mentir et manipuler les proches. La plupart des malades ne peuvent pas guérir seules, ils on besoin d’un accompagnement. Mais pour le démon, accepter de l’aide c’est un grand échec donc il lutte contre lui chaque jour.

Je ne saurait pas dire si la manière dont j’ai été soignée est la bonne. Ce qui est certain c’est qu’il a fallu passer par une violence autant mentale que physique. Chaque seconde était un conflit avec moi-même. La méthode de soin des hôpitaux ou des centres spécialisés est en général assez dure, les patients sont souvent confrontés à une sorte de chantage, mais pour leur bien. La coupure avec les proches dure plusieurs mois en général.

La réalimentation est aussi quelque chose de très difficile : le corps doit se réhabituer à s’alimenter. Mais le pire, c’est la culpabilité insupportable que nous inflige la maladie. Pendant longtemps, me nourrir me faisait ressentir un grand sentiment d’échec et de manque à la fois. C’est contradictoire mais, pour moi, recommencer à manger, c’était me retirer ma drogue, ma raison de vivre, tout en sachant qu’elle me détruisait et me rendait malheureuse.

J’ai eu la chance d’être accueillie dans un service spécialisé pour les troubles du comportement alimentaire (Tca) compétent au sein de l’hôpital Bellevue de Saint-Etienne (Loire). Une infirmière m’a tout particulièrement aidée, en ne me considérant pas seulement comme une malade, mais aussi comme une personne.

Et aujourd’hui

Cela fait deux ans que je suis sortie du service de Saint-Etienne. Guérie ? L’anorexie s’est quasiment évaporée mais je dois rester sur mes gardes et continuer le travail entrepris.

Je souhaite, par ailleurs, sensibiliser les gens à un sujet. En effet, nous sommes envahis par une masse d’informations parfois contradictoires sur l’alimentaion, ce qui a engendré une nouvelle forme d’anorexie appelée « orthorexie ». Les personnes atteintes ne cherchent pas à maigrir mais ont si peur de ce qu’elles avalent qu’elles finissent par ne plus rien manger.

Une révélation tardive mais constructive

Il y a peu, j’ai pu rencontrer une neuropsychologue qui m’a permis d’avoir une réelle révélation, en m’aidant à comprendre comment je fonctionne. Je pense que la neuropsychologie appliquée dans les soins pour les personnes souffrant de Tca n’est pas assez exploitée. Grâce à cette rencontre, j’ai pu mettre au clair les raisons de ma descente aux enfers. 

Après un long combat j’ai presque du respect pour cette maladie car elle m’a appris beaucoup pendant ces années. »

Propos recueillis par Anastasia Chauchard