Alors que le rapport Libault sur la dépendance va être prochainement remis au gouvernement, l’expert Dominique Giorgi estime que « les acteurs de la solidarité à but non lucratif que sont les mutuelles » ont certainement un rôle à jouer pour une meilleure prise en charge de ce risque aux côtés de l’Etat. Dominique Giorgi, enseignant à l’université Paris-Dauphine et co-auteur de « la Solidarité en quête de sens » (éd. Presses de l’Ehesp) considère que le grand débat national doit être l’occasion pour les mutuelles de faire de « la pédagogie de la solidarité », notamment des apports de la mutualisation, « car les gens sont moins concernés qu’autrefois par la gestion collective de leurs intérêts ».
Vous notez dans votre ouvrage que les acteurs historiques de la solidarité (associations, mutuelles et Etat) sont confrontés à de nouveaux défis, comme de parvenir à couvrir le risque dépendance. Quel pourrait être le rôle des mutuelles dans la réforme de la dépendance ?
Sans préjuger du rapport de Dominique Libault qui doit être remis prochainement et des arbitrages du gouvernement qui vont suivre, il est évident que les pouvoirs publics ont un défi à relever car, hormis les soins qui sont bien pris en charge, le risque dépendance est assez mal couvert par la solidarité nationale, le reste à charge étant en moyenne de 2000 euros mensuels pour l’hébergement en maison de retraite. Pour mieux prendre en charge ce risque, on peut considérer qu’il va falloir une hausse de la dépense collective de 0,4 % du Pib à l’horizon 2030. Aujourd’hui, la dépense totale s’élève à 30 milliards d’euros, soit 1,4 % du Pib. Où trouver ce financement complémentaire ? Pour ce qui est de l’Etat, une piste est évoquée qui permettrait d’agir sans prélèvements obligatoires supplémentaires : la réaffectation de la cotisation de Crds (Contribution au remboursement de la dette sociale) à la dépendance quand la dette aura été remboursée à l’horizon 2025. On verra si cette piste est suivie.
En complément de l’Etat, les organismes complémentaires ont certainement une carte à jouer, en particulier les acteurs de la solidarité à but non lucratif que sont les mutuelles. Sur le financement, on peut imaginer deux cas de figure : une cotisation obligatoire couplée à la cotisation à la mutuelle santé comme le préconise La Mutualité française, le plus tôt possible pour que la rente servie soit suffisante ; ou une cotisation facultative comme aujourd’hui mais avec un système d’incitations qui pourraient être fiscales par exemple.
Vous écrivez que pour parvenir à un renouveau de la solidarité, il faut s’appuyer sur les ressources des acteurs de terrain tels que l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives). Ne faudrait-il pas davantage associer les citoyens à la bonne marche de la protection sociale et de la solidarité ?
La question de l’implication des citoyens dans la gouvernance de la protection sociale mérite d’être revisitée. Comment faire pour que les gens soient sollicités et aient envie de s’engager ? Les mutuelles qui font participer leurs adhérents à leur gouvernance, car c’est au cœur de leur modèle de fonctionnement, doivent encore davantage miser sur la proximité. Les nouvelles technologies pourraient faciliter une meilleure prise en compte des avis des adhérents. Grâce à des agoras numériques, c’est possible. Dans cet esprit, les mutuelles pourraient être des terrains d’expérimentation, au nom des valeurs qu’elles continuent de porter.
La crise sociale que nous traversons actuellement nous donne étrangement l’impression d’un pays composé de citoyens et de gouvernants, les acteurs de la solidarité qui sont sur le terrain (associations, mutuelles et même la Sécurité sociale) se trouvant ignorés. Quel est votre regard sur cette situation ?
Les acteurs de la solidarité que sont les associations et les mutuelles existent et sont puissants. C’est à eux de se saisir de cette crise pour mieux faire comprendre aux citoyens le fonctionnement solidaire de notre société. Ils doivent faire de la pédagogie de la solidarité, notamment rappeler que la mutualisation de risques sociaux, qui seraient insupportables à titre personnel, permet leur prise en charge pour un coût individuel limité. N’oublions pas, par exemple, qu’une journée d’hospitalisation peut s’élever à plusieurs milliers d’euros, montant que la mutualisation entre tous les Français permet d’absorber.
En outre, dans le contexte actuel, les mutuelles ont de vrais arguments à faire valoir dans la concurrence que se livrent les organismes complémentaires : la non lucrativité bien sûr, mais aussi la non sélection des risques, les œuvres sociales et la gouvernance démocratique. Les mutuelles sont confrontées à l’individualisme ambiant : les gens sont moins concernés qu’autrefois par la gestion collective de leurs intérêts. C’est là que la pédagogie est indispensable : les mutuelles doivent dépasser l’approche technicienne de leur activité et faire mieux comprendre leur rôle d’acteurs de la cohésion sociale.
Une des vertus du grand débat national pourrait être justement que l’on se réapproprie un savoir un peu perdu de vue sur le fonctionnement solidaire de notre société.