L'avenir de la Sécurité Sociale au coeur du débat public

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Le 6 novembre, La Mutuelle Familiale organisait, avec le journal l’Humanité, le colloque « Sécurité sociale : 70 ans après, un pacte de solidarité plein d’avenir ! »

Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental qui accueillait l’événement, a rappelé, en ouverture du colloque, que le palais d’Iéna, siège du Cese, est une maison de dialogue, facilitant le débat et la prise de décision, et de citoyenneté, permettant la distanciation du temps citoyen par rapport au temps politique. Son propos a porté à la fois sur la conception de la Sécurité sociale telle qu’elle a prévalu en 1945, outil de solidarité au service de la préservation de l’unité nationale, et la nécessité aujourd’hui de faire ré-émerger l’intérêt général et de repenser la place du collectif, à une époque où le numérique va de plus en plus modifier notre rapport à l’autre. Le directeur de l’Humanité, Patrick Le Hyaric, a aussi évoqué les idées des architectes de la Sécurité sociale, qui se sont élevés contre la fatalité pour placer la solidarité au coeur des rapports sociaux. Il a rappelé que des « institutions sociales démocratiques fortes sont indispensables à la sortie de la crise » et d’incontournables outils de lutte « contre le ressentiment identitaire qui gagne dangereusement les esprits. » Lui donner un nouveau souffle, c’est sortir d’une vision de la Sécurité sociale uniquement centrée sur son coût, ainsi que l’a commenté Yves- Marie Cann, directeur des études politiques de l’institut Elabe, en présentant les résultats de l’enquête d’opinion commanditée par La Mutuelle Familiale et l’Humanité.

Pour la majorité des personnes interrogées, en effet, la Sécurité sociale est « un investissement pour la société française » (63 %, contre « un coût » pour 36 %), un « bien commun dont nous sommes tous responsables» (48 %), une « solidarité entre malades et bien portants » (26 %).

Un moteur économique

La Sécurité sociale est le « système de solidarité le plus abouti » a souligné Léonora Tréhel, présidente de La Mutuelle Familiale, lors de la premièretable ronde intitulée « Sécurité sociale : un levier pour le développement économique et social ». Nous avons donc l’impérieuse nécessité de le défendre, mais aussi de le projeter dans le monde de demain. Les enjeux actuels supposent de retrouver les valeurs de « l’émancipation citoyenne » par des « formes neuves de démocratie participative » et de « prendre en compte les interactions entre l’économique, le social et l’environnemental ».

La question du financement est d’autant plus cruciale qu’« on ne résout aujourd’hui les besoins de financement que par les économies de dépenses, ou par des transferts » vers les complémentaires santé. Léonora Tréhel a rappelé que le mouvement mutualiste demande que l’Etat facilite l’accès à une complémentaire, donc aux soins, par la mise en place d’un « crédit d’impôt lié aux revenus ». Une aide « universelle, simple et juste ». « La Sécurité sociale doit redevenir un projet politique porté par les citoyens qui aspirent à jouer un rôle pour préserver et développer ce bien commun qui réunit la population et transcende les clivages culturels, politiques, religieux ».

Docteur en sciences économiques, Alain Villemeur a insisté sur les effets économiques bénéfiques de la protection sociale. « Efficacité d’autant plus marquée que l’on cible les jeunes actifs. Or, la prévention est le parent pauvre de la protection sociale. » L’expert a aussi expliqué que le report de l’âge de la retraite n’est « un investissement bénéfique que s’il s’accompagne d’un programme de formation professionnelle et d’amélioration des conditions de travail des seniors », qui fait défaut en France. « L’Etat providencedoit aussi devenir un Etat social investisseur. »

Sortir d’un cercle vicieux

Bien connu de nos lecteurs, André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé (Res), a pour sa part alerté sur l’inquiétante hausse des affections de longue durée (Ald) et des maladies chroniques. « La Sécurité sociale ne tire pas les conséquences de cette crise sanitaire » qui plombe ses comptes. Pour lui, « il n’y a pas de fatalité. On peut agir en ayant une vision globale de l’environnement ». André Cicolella encourage la construction d’un grand mouvement citoyen autour de ces questions et invite la Sécurité sociale à s’intéresser aux causes de cette crise. La parole fut ensuite donnée à l’économiste et syndicaliste Jean-Christophe Le Duigou. « La Sécu fut longtemps inscrite dans un cercle vertueux, réconciliant l’économique et le social. » Mais la protection sociale ayant dû « prendre en charge tous les dégâts sociaux causés par une économie dirigée selon les critères du seul profit », elle est entrée dans un « cercle vicieux » marqué par les « inégalités face à la maladie, l’accès aux soins, l’espérance de vie, etc. ». Pour y faire face, l’économiste propose d’augmenter la contribution des revenus financiers, de soumettre à cotisation les compléments de salaires et de s’attaquer aux coûteux allégements des cotisations.

Des soins pour tous

 « Garantir l’accès aux soins et à la prévention pour tous » était le thème de la seconde table ronde. Thierry Beaudet, vice-président de la Fnmf, s’est d’abord félicité de l’efficacité de la Sécurité sociale telle que nous la connaissons. « Nous sommes passés de la compensation des conséquences de la maladie à l’accès à des soins efficaces pour le plus grand nombre. » Mais des inégalités demeurent sous des formes diverses. En cause, selon lui, des facteurs financiers «puisque, pour les soins courants, la Sécurité sociale ne rembourse plus qu’un euro sur deux », mais aussi des facteurs territoriaux et sociaux. Regrettant la défiance existant « entre les acteurs de la protection sociale », il a invité ceux-ci à « agir sur le système » en améliorant la formation des soignants, leur répartition géographique et celle des établissements de soins, en réétudiant les modes et les niveaux de rémunération des professionnels de santé, etc.

C’est sur la manière d’atteindre une « prévention ciblée et pertinente » que porta l’intervention de Soléane Duplan, secrétaire générale adjointe de La Mutuelle Familiale. « Cela suppose de se pencher sur les déterminants de santé : les conditions de travail, le logement, le cadre de vie, les revenus, les transports, l’alimentation. » Ceux ci étant propres à chacun, une « politique publique cohérente doit viser à atténuer les différences et inégalités individuelles ». Elle a expliqué comment La Mutuelle Familiale « invente une prévention différente, non culpabilisante, responsabilisante, en y associant pleinement ses adhérents ». Et elle a souligné qu’une meilleure utilisation des o
utils numériques, non pas en se substituant à la relation soignant/soigné, mais comme outil de prévention accessible à tous, peut être une perspective intéressante. Magali Léo, du Collectif interassociatif sur la Santé (Ciss), a rappelé que « le prérequis à l’accès aux soins, c’est l’accès aux droits ». Un principe défaillant pour les plus démunis, les taux de non-recours à la Cmu-c ou à une aide au paiement d’une complémentaire santé (Acs) étant très élevés. « Ces systèmes conçus pour parachever le principe d’une santé pour tous dysfonctionnent » : accompagner les populations précaires est donc une priorité. Simplifier l’accès aux droits, réguler les lieux d’installation des médecins, interdire les dépassements d’honoraires pour les personnes souffrant d’Ald font aussi partie des mesures réclamées par le Ciss. « Nous devons être collectivement à la hauteur du courage dont a fait preuve le Conseil national de la Résistance en imaginant cet oxymore qu’est la Sécurité sociale », lança au début de son intervention Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. S’appuyant sur l’exemple des sapeurs-pompiers et des urgentistes, il a plaidé pour une meilleure coopération entre les différents systèmes de santé : « médecine de ville, de campagne, spécialistes, hôpitaux… »Il a fustigé « la tarification à l’activité dans les hôpitaux publics » qui les a inscrits « dans une logique concurrentielle.» Enfin, il a appelé à la vigilance sur les questions liées aux données de santé numériques qui pourraient devenir les nouveaux supports commerciaux des industries pharmaceutiques. « Veillons à ce quela liberté individuelle soit préservée, car dans le monde de l’argent, les altruistes sont assez rares. »

Des fondateurs visionnaires

Ultime intervenant, le porte-parole de Générations Cobayes, Martin Rieussec-Fournier  a insisté sur l’importance de gagner en transparence en matière de santé environnementale. « Nous sommes de plus en plus malades, car notre environnement est de plus en plus pollué et il l’est, car notre démocratie est, elle aussi, malade ! Nos six années de travail sur les liens entre santé et environnement nous ont montré que les lois et réglementations en vigueur sont d’abord l’expression des intérêts économiques de quelques-uns aux dépens de la santé de tous. »

Alain Obadia, président de la Fondation Gabriel Péri, a conclu la matinée en citant la définition que donnait Ambroise Croizat, un des fondateurs de la Sécurité sociale : « Garantir à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille. » Pour Alain Obadia, construire une « Sécurité sociale adaptée aux défis de ce siècle » doit s’appuyer sur ces principes toujours d’actualité. « Ambroise  Croizat parlait en visionnaire. »