Scandale de la Dépakine : « Je ne pouvais pas me taire »

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Marine Martin a révélé il y a six ans le scandale de la Dépakine (valproate de sodium), un antiépileptique efficace, mais qui peut causer des malformations au fœtus lorsqu’il est pris en cours de grossesse. Aujourd’hui, cette lanceuse d’alerte se bat pour faire avancer la législation et pour obtenir réparation auprès du laboratoire Sanofi qui commercialise le produit. Elle raconte son combat dans un livre. Interview.

Qu’est-ce qui vous a animée pour mener ce combat contre la Dépakine ?

La colère ! Je suis épileptique et sous Dépakine depuis de nombreuses années, mais je ne savais pas et que ce médicament était dangereux pendant la grossesse. [fn]Le valproate de sodium, principe actif de la Dépakine, a fait 14 000 victimes depuis sa commercialisation en 1967, les plus âgées ayant aujourd’hui 50 ans.[/fn] J’ai donc continué à le prendre et mes deux enfants sont nés avec des handicaps. Aucun médecin ne m’a informée de la dangerosité du médicament et des conséquences graves qu’il pouvait avoir sur le fœtus. Après la naissance de mon second enfant, j’ai voulu savoir, je me suis lancée dans des recherches sur Internet et j’ai découvert avec consternation que la Dépakine, prise pendant la grossesse, pouvait engendrer des malformations. J’étais une citoyenne ordinaire qui soudain vivait une situation extraordinaire. J’ai fondé mon association, Apesac, qui regroupe des familles de victimes, car mon combat, je ne veux pas le mener seule, je me suis entourée de personnes compétentes : Irène Frachon, la pneumologue qui a révélé le scandale du Mediator et qui a été un guide pour moi, d’autres associations comme le Réseau Des (les victimes du Distilbène) ou l’ Alliance maladies rares. Je prends conseil auprès de la revue Prescrire. Et j’ai fait appel à l’avocat que je voyais à la télé aux côtés d’Irène Frachon, Charles Joseph-Oudin.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Beaucoup de choses positives se passent en ce moment. Le fruit de notre combat depuis six ans au sein de l’Apesac, mais aussi grâce aux soutiens des femmes et des familles.

D’autre part, des enquêtes ont été menées qui donnent des résultats probants aujourd’hui. Comme celle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) et de la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés (Cnamts) qui portait sur près de 2 millions de femmes enceintes dont 2 321 exposées au valproate. [fn]Les résultats confirment le caractère hautement tératogène du valproate : le risque de malformations congénitales majeures, par rapport à la population générale, est globalement 4 fois plus élevé chez les enfants nés d’une femme traitée par valproate pour une épilepsie. (Source : Ansm 20/04/2017)[/fn]

Une autre étude est attendue pour le second semestre 2017. La législation avance. Un logo est apposé sur les boîtes de Dépakine indiquant la dangerosité du produit pour les femmes enceintes et le fœtus. Le fonds d’indemnisation est en marche.

Et l’information est passée auprès du grand public notamment grâce aux medias.

Mais le combat continue, car il faut encore pointer du doigt la responsabilité des médecins, et surtout du laboratoire Sanofi.

Quels sont vos prochains combats ?

Il reste à mener le combat contre Sanofi pour obtenir un vrai procès. Car, pour l’instant, ils font la sourde oreille. Certes, les victimes seront indemnisées par le Fonds mais, concrètement, ce seront les citoyens qui paieront. Nous, nous voulons engager la responsabilité du laboratoire. Mais je garde espoir, je continue pour que Sanofi se mette en face de ses responsabilités. Il faut qu’ils paient. Nous ne sommes pas pressés, nous y arriverons. Et puis, le combat soit être mené au-delà des frontières françaises. Car ce médicament a été commercialisé dans le monde entier et il continue à être prescrit sans que l’on donne la moindre information aux femmes enceintes. Je travaille en étroite collaboration avec mes homologues anglaises, j’ai aidé mes amis belges à créer des associations, des amis suisses également.
Aujourd’hui, j’ai des contacts en Espagne et c’est un combat international que je mène. J’ai toujours pensé qu’ensemble on était plus forts et face à un laboratoire aussi puissant que Sanofi, il fallait unir nos forces pour faire éclater le scandale.

Un dernier message ?

Il faut continuer à informer les femmes, bien sûr, mais aussi la communauté scientifique (médecins, neurologues, et médecins hospitaliers) sur les dangers de ce médicament pour les femmes enceintes et les fœtus. Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) a commandé une enquête pour connaître le niveau de connaissance des hospitaliers sur ce produit. Nous attendons les résultats.

Je pense qu’il faut aussi sortir l’épilepsie de l’ombre et oser en parler. Beaucoup d’idées fausses persistent encore autour de cette maladie taboue par excellence. On dit que les femmes épileptiques ont des enfants mal formés, mais en fait, ce sont les traitements qui engendrent les malformations. Les neuroleptiques sont des médicaments aux effets secondaires lourds.

Les femmes épileptiques et sous traitement doivent avoir toutes les cartes en main pour décider si oui ou non elles veulent démarrer une grossesse. Il faut étudier la question au cas par cas. Certaines peuvent arrêter le traitement lorsqu’elles tombent enceintes avec certaines précautions : ne pas conduire, ne pas voyager… Pour d’autres, il faut envisager d’autres solutions comme l’adoption. Dans mon cas, si j’avais su, c’est ce que j’aurais fait. Mais tout cela ne doit pas être imposé, il est important d’en discuter avec la femme, le couple qui attend un enfant.

Dépakine, le scandale, Marine Martin, Éd. Robert Laffont. 240 p., 19,50 €.