Procès de l'amiante : vers un non-lieu ?

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Les victimes de l’amiante pourraient bien ne pas avoir de procès, car le parquet de Paris estime qu’il est impossible de connaître la date exacte de contamination des personnes ayant été en contact avec l’amiante.

C’est un coup dur de plus pour les victimes de l’amiante. Après vingt et un ans d’instruction, le parquet de Paris a estimé mardi 27 juin qu’il était impossible de connaître la date exacte de contamination des personnes ayant été en contact avec l’amiante. Une décision qui pourrait ouvrir la voie à des non-lieux dans une quinzaine de dossiers. Explications avec Alain Bobbio, secrétaire général de l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva).

Que signifie cette décision ?

Cette décision est non seulement absurde, choquante, mais surtout c’est un véritable scandale ! Le parquet prétend que, comme il est impossible de dater le moment où la faute a été commise – puisque les maladies de l’amiante se déclarent plus ou moins longtemps après la contamination (parfois vingt ans pour certains cancers), contrairement à d’autres contaminations -, on ne peut donc l’imputer à quiconque. C’est-à-dire que la date de début du processus de la maladie ne pouvant pas être fixée, elle ne permet pas, selon eux, de « réunir des charges qui pourraient être imputées à quiconque des chefs d’homicide ou blessures involontaires ».

Pourtant, le raisonnement du Parquet se fonde sur des expertises scientifiques qui expliquent clairement la dangerosité du produit et les différents modes de contamination des maladies : « Pour l’amiante, l’exposition est synonyme de contamination [fn] Présence d’amiante dans l’organisme [/fn] en l’absence de mesures de protection » et que «  dans un modèle de risque « sans seuil » [fn] Pour l’amiante, comme pour d’autres cancérogènes, il n’existe pas de seuil d’exposition en-dessous duquel l’absence de tout effet cancérogène serait avérée.[/fn] l’intoxication [fn]Le processus pathologique[/fn] est par définition concomitante de la contamination. »

Ce n’est donc pas une date mais une période d’exposition que les magistrats auraient dû retenir pour établir la certitude d’un lien de causalité entre la faute pénale et le dommage des victimes. Les magistrats ont fait du rapport une lecture tronquée.

Le parquet dit clairement aux victimes : « Circulez, il n’y a rien à voir !  ». Un mépris pour elles, les familles et tous ceux qui se battent depuis vint et un ans pour réclamer un vrai procès.

On s’achemine vers un non-lieu ?

C’est ce que souhaite le parquet, il veut motiver les non-lieux en préparation. Il veut aller vite. L’argument des juges d’instruction et du parquet est suffisamment général pour faire prospérer des non-lieux pour tous les responsables, petits ou grands, qui avaient été mis en examen dans tous les dossiers pénaux de l’amiante. Dans l’immédiat, la clôture de l’instruction a été notifiée dans une vingtaine de dossiers dont ceux d’Eternit, Valeo ou Everit (Saint-Gobain). Ceux de Jussieu ou de la Normed risquent de prendre le même chemin.

Mais l’Andeva et la Fédération nationale des accidentés de la vie (Fnath), contestent l’interprétation frauduleuse d’une expertise scientifique pour lui faire dire le contraire de ce qu’elle dit. Nous dénonçons un énorme scandale judiciaire. 100 000 morts de l’amiante annoncées, vingt et un ans d’instruction pour en arriver là ! C’est un véritable naufrage de l’institution judiciaire.

L’Andeva et la Fnath feront immédiatement appel si les ordonnances de non-lieu annoncées sont rendues. Car les enjeux sont considérables.

Nous sommes tous concernés : les victimes de l’amiante et du travail, les organisations syndicales, les défenseurs de la vie et de la santé au travail ainsi que tous ceux qui croient encore à la justice. Ensemble, nous devons faire entendre notre voix.

Quelles répercutions peut entraîner une telle décision ?

La portée de cette décision va bien au-delà des victimes de l’amiante. Des décisions analogues pourraient demain s’appliquer aux victimes de produits à effets différé (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques). Cela reviendrait à délivrer par avance un « permis de tuer » aux auteurs de crimes industriels « non datables ».