« En France, la prévention des addictions est inexistante »

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Véritable cri d’alarme, le livre Tous addicts et après ? des Drs William Lowenstein et Laurent Karila, pointe du doigt le manque frappant de prévention des addictions, depuis des années en France. Interview du Dr Karila.

Votre livre est un cri d’alarme ?

Dr Karila : Tout à fait. Nous voudrions, le Dr William Lowenstein et moi, redire une fois de plus que la prévention dans le domaine des addictions en France est inexistante. Pire, on stigmatise les malades (les alcooliques, les drogués…). Il existe une politique sécuritaire des addictions, on punit, certes, mais en amont que fait-on ?

De plus, il y a un retard considérable dans la prise en charge, les traitements, les soins, la recherche.

Notre société devient de plus en plus addictive ?

Oui et il y a urgence. On assiste à la surconsommation de beaucoup de substance : tabac, alcool (chez les jeunes le binge drinking) mais il y a de plus en plus de nouveaux produits de synthèse comme la Mdma, consommée dans les fêtes, en club ou à la maison. C’est plus pur que l’ecstasy, pas cher et elle a l’air moins dangereuse. L’air seulement car elle peut provoquer des accidents de santé graves. Notamment des fièvres très importantes avec une défaillance des organes et des atteintes au foie.

Il y a aussi les accros aux écrans, aux jeux sur Internet… Les addictions deviennent presque une maladie chronique car nous sommes sans arrêt sollicités par la publicité, les réseaux sociaux, Internet où l’on peut commander toute sorte de produits facilement et les recevoir par la poste… Tous les âges de la vie sont concernés, l’adolescence bien sûr mais aussi au moment d’une rupture (divorce, licenciement…), du départ à la retraite… Les femmes, comme les hommes, sont touchées. Nous les voyons de plus en plus en consultation.

Quelles seraient les solutions ?

Miser plus sur la prévention en diffusant des campagnes de communication plus régulièrement et en faisant des rappels souvent, comme pour la vaccination. D’autre part, nous avons lancé l’idée de la création d’une agence autour des addictions avec à la fois des soignants, addictologues, médecins traitant, infirmiers, psychologues… , mais aussi des personnes de la société civile, des jeunes (addicts ou non), des philosophes, des patients experts, des parents, des grands-parents… Le but serait de réfléchir ensemble autour d’axes pratiques pour lutter contre les addictions. Car c’est un problème complexe : l’addiction est la rencontre d’un produit et d’un individu. Seulement une partie du produit rend addict, mais tout ce qu’il y a en nous, notre histoire, notre maturité, notre cerveau, nos antécédents, le moment de cette rencontre… joue.

L’adolescence est une période charnière, que conseillez-vous aux parents ?

Parler aux jeunes, sans tabou, et cela dès le plus jeune âge. Vers 9-10 ans un enfant peut comprendre. Il faut aussi s’abstenir de faire goûter les produits aux jeunes quand ils sont petits (le petit verre de champagne à l’occasion d’un anniversaire) et surtout donner l’exemple. Notamment pour les écrans ; dans beaucoup de familles, il y a un écran par personne et à la maison tout le monde est devant.

Le comportement devant les addictions doit changer. Il est important de sortir des lieux communs du style : « Tu peux arrêter de fumer, de boire… c’est une question de volonté ! » Non ! Il ne faut hésiter à se faire aider. Le médecin traitant est le premier interlocuteur mais il existe aussi des centres de prise en charge pour les jeunes consommateurs et d’autres structures d’aide pour les adultes.

A lire : Tous addict et après ? Drs Lowenstein et Karila, éd. Flammarion, 17 €.